Une tournée à bout de force.
Rongée par l’alcool et les médicaments, victime de deux accidents de voiture, affaiblie par une opération de la pancréatite en septembre, brisée par la fin de sa liaison avec Georges Moustaki, … c’est à bout de force qu’Édith Piaf entame le 20 novembre 1959 une nouvelle tournée. Elle passe par Dreux le 13 décembre. Se souvint-elle avoir chanté à 7 ans, à la caserne de Billy, accompagnée de son père ?
Première partie réussie de ses protégés
Des coulisses, voix lasse, assise sur une chaise, elle présente ses protégés à qui revient la première partie. Très réussie. Un illusionniste, trois jeunes chanteurs prometteurs et Nita Raya, chanteuse et danseuse confirmée – ancienne compagne de Maurice Chevalier – sont chaleureusement applaudis. Mais le public est venu pour « La Môme ».
Un public moins nombreux que prévu, note toutefois le journaliste drouais René Robinet dans La République du Centre car, malgré son nom, « la salle des fêtes est loin d’être pleine ». La publicité faite autour de son malaise sur scène à Maubeuge quelques jours plus tôt ont-ils découragé certains de ses admirateurs ? Quoi qu’il en soit, Edith Piaf fait à peine cinq cent entrées payantes, deux cent de moins que les Compagnons de la Chanson qui l’ont précédée la même année au même endroit.
Entracte interminable, malaise d’Edith Piaf en coulisse
La première partie est achevée, le public attend Piaf. Mais l’entracte est interminable. Un quart d’heure, une demi-heure, puis une heure…. Le public attend, ignorant ce qui se noue derrière les rideaux. Edith Piaf a fait un nouveau malaise. Témoin, René Robinet décrit un véritable calvaire : « Elle flotte dans des vapeurs d’éther, effondrée sur une chaise… Penchés sur elle, musiciens, artistes et amis la supplient de ne pas aller sur scène. Juchés sur des chaises, au coude à coude, des photographes s’efforcent de fixer sur la pellicule le pathétique de cette scène. »
« La môme » écarquille de temps en temps des yeux agrandis, noyés dans l’ivresse des drogues et des médicaments. » Elle sanglote : « Ils ont payé pour m’entendre, si je ne chante pas à Dreux, je mourrai ». Les traits ravagés, elle sort de sa loge, rentre en scène, tente de répéter. Rien ne va malgré la piqûre de solucamphre administrée par un docteur Drouais. Mais elle s’entête : « Chanter, je n’ai plus que cela au monde. » Entre sa santé et le public, elle a toujours choisi. Finalement, comme elle l’avait fait à Maubeuge, elle envoie promener son entourage : « Je veux chanter, je vous dis que je veux chanter ! »
Alors, chanter malgré tout
Il est près de minuit quand, au lever de rideau, les cinq-cents spectateurs la découvrent, visage exténué, chancelante. Une main cramponne le piano, l’autre a saisi le micro.
Transcendée par la musique et la ferveur de la foule, habitée par un extraordinaire automatisme, la « môme Piaf » se retrouve. Si ses gestes mesurés trahissent sa faiblesse, sa voix est là qui fait vivre dix chansons dont « Les ballets des cœurs » et « son dernier succès, « L’homme à la moto ». Mais une nouvelle fois, en proie à une défaillance, raconte un témoin du concert, elle bafouille son texte. Le rideau tombe [1]. Contre l’avis de ses proches, elle reprend et clôt son récital par « La foule ». Le public l’acclame. C’est Piaf, elle a tout donné. Elle a chanté quarante minutes « à la limite de la résistance humaine », écrit René Robinet qui s’interroge : « Comment ne s’est-elle pas écroulée ? » Mais à peine le rideau gris est-il baissé qu’Édith Piaf s’effondre, terrassée par un nouveau malaise. Nouvelle piqûre de solucamphre.
Après le malaise, le repos d’Edith Piaf
À une heure du matin, elle sort de la salle des fêtes entre deux silhouettes qui la soutiennent jusqu’à une DS. Deux cent admirateurs stationnent dans le froid. À son passage, fusent des mots d’affection, manière d’hommage, « Au revoir Edith ».
Dreux fut la dernière date de sa tournée, baptisée par la presse « tournée suicide ». Hospitalisée, plongée dans une cure de sommeil, elle poursuivit sa convalescence dans sa résidence des Yvelines, à Condé-sur-Vesgre. Avant, incorrigible, de brûler encore ses ailes par les deux bouts. Quinze jours plus tard, elle chantait à l’Olympia. Édith Piaf est décédée le 10 octobre 1963. Elle n’ avait pas 45 ans.
[1] Merci à Jean-Pierre Lesage pour cette précision.
En savoir plus : La République du Centre, 15 et 16 décembre 1959.