13 juillet 1788, acte I : en Beauce, orage apocalyptique

Le samedi 12 juillet, une partie de la France suffoquait sous un couvercle de chaleur humide. Plus de 30 degrés à Paris. Le lendemain, un cataclysme comme une fin du monde traversait le pays : un orage à nul autre pareil dans les annales de l’histoire de France.

Monstre conçu en Gironde, mort dans les Flandres. Au milieu, la Beauce.

Conçu au petit matin, en Gironde, bien formé déjà sur les côtes d’Aunis, il se déploie sur deux bandes à peu près parallèles, l’une de huit kilomètres de largeur, l’autre de seize. Lancé à plus soixante-dix kilomètres par heure, l’orage atteint la Loire à 7 heures, puis Chartres à 7 heures 30 et Rambouillet à 8 heures. Il poursuit sa course folle jusqu’aux Flandres pour aller mourir en mer du Nord. En route, il a lâché sa cargaison de grêles, parfois grosses comme de œufs de pigeons.

De la Gironde aux Flandres, le trajet de l’orage. source : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5998

Le diocèse de Chartres martyrisé

Le nombre des paroisses sinistrées en France est évalué à 1 039[1]. Mais ce sont les actuels départements du Loiret, du Loir-et-Cher et d’Eure-et-Loir qui ont le plus souffert[2] : on compte 274 paroisses grêlées pour le seul diocèse de Chartres[3]. Partout c’est la désolation et la ruine bien que le passage du phénomène n’ait pas excédé quinze minutes. Un article du Journal de Paris, daté du 15 juillet nous permet d’en saisir l’ampleur.

Mémoires SAEL, 1er janvier 1895 p. 372. DR.

L’apocalypse : nuit le jour, feu des éclairs, grêlons comme des œufs

Un lecteur qui était près d’Epernon raconte : « Le ciel s’obscurcit d’une manière effrayante… Je vis la nuée qui commençait à se décharger nous arriver en un clin d’œil avec une impétuosité inouïe. Au bout de trois minutes, toutes les denrées furent moissonnées. Les grains de grêle tombaient gros comme des œufs ordinaires et les moindres comme des avelines. Le bruit des vents et la chute de la grêle, les cris des pauvres habitants de la chaumière, le feu terrible des éclairs imprimèrent à mon âme un sentiment que je n’avais jamais éprouvé[4] ». Obscurité soudaine, violence des vents, grêlons démesurés, paysage de désolation, vision d’apocalypse….

Tableau de Philippe-jacques de Louthebourg (1740-1812). DR.

Sur les registres paroissiaux, témoignages des curés

Les témoignages des curés saisis sur les registres paroissiaux confirment. Celui de Oinville-Saint-Liphard écrit : « À 8 heures du matin, l’orage furieux, le tonnerre, le vent, la grêle formaient tous ensemble un bruit effroyable… tout a été battu en ruine… » Celui de Douy, plus précis, fait état « de bâtiments renversés, d’arbres arrachés, de vitres brisées, de moisson enterrée, de bestiaux tués ou blessés, d’hommes et de femmes blessés. Les glaçons qui bondissaient sur terre portaient quatre à cinq coups meurtriers à ce [sic] qu’ils rencontraient[5] »

Archives départementales Eure-et-Loir, registres paroissiaux de Sours, 13 juillet 1788, 3E 380/006, vue 313. DR.

Le plus prolixe est le curé de Sours, paroisse sans nul doute la plus martyrisée par le fléau : « En cinq minutes, tout a été perdu…  L’orage a été si furieux que les grains, les fruits de toute espèce ont été hachés, la moisson a été entièrement détruite en sorte qu’elle coûtera plus à ramasser qu’elle en vaut. L’église a été renversée depuis le pignon jusqu’au clocher…la voute de la vierge, la charpente tout a été brisé, tous les bancs brisés, les confessionnaux brisés ».

Deux morts à Sours

Le curé, occupé à confesser dans la sacristie, eut la vie sauve en se réfugiant sous la voute de la fontaine de la sacristie.  D’autres n’eurent pas sa chance : « Des quatre moulins celuy de pierre est resté seul et fort endommagé, les trois autres ont été renversés et détruits et dans celui du château où six personnes s’étaient réfugiées, deux ont été tuées par la chute et les quatre autres dangereusement blessées. » Le petit Denis Millocheau, 11 ans, et Pierre Colas, garçon meunier de 64 ans, tous deux « surpris dans un moulin que la foudre a renversé et brisé » sont inhumés « dans le cimetière de ce lieu[6] ».

Archives départementales Eure-et-Loir, registres paroissiaux de Sours, 14 juillet 1788 3E 380/006 vue 314. DR.

Selon nos sources,  il n’y aurait pas eu d’autres morts directement liées aux effets de l’orage. D’autres églises à Vers-les Chartres, Dammarie, Gellainville ou Prunay-le-Gillon subirent des dégâts et à Gallardon, la flèche du clocher cède aux assauts de la tempête. Le lecteur imagine sans peine ce qu’il advint des maisons en bauge les plus fragiles…

Récoltes anéanties, cherté du grain annoncée

Mais plus que tout, c’est la désolation du paysage qui consterne. Jardins, vignes et champs sont dévastés. Les récoltes qui s’annonçaient déjà mauvaises en raison d’une sécheresse persistante ont été pulvérisées en quelques minutes.

Archives départementales d’Eure-et-Loir C art 5. Extraits des pertes enregistrées à Levainville par Philippe Marcille, Pierre Martin, Denis Lance

Les mémoires peinent à trouver un équivalent. Le curé d’Umpeau rapporte un souvenir invérifiable : « On dit, mais je doute fort de ce récit, qu’en 1380 pareil accident est arrivé[7] ». Tout en restant vague, Le Petit Moniteur Universel du 24 mai 1870 écrit que « les anciens voient dans l‘orage du 13 juillet 1788 l’un des plus désastreux qu’on eût vu en France depuis plusieurs siècles…

Et le roi ?

Louis XVI. Joseph Ducreux décembre1792, musée Carnavalet. DR.

              Ce 13 juillet 1788, Louis XVI était à Rambouillet avec Monsieur, son frère,    chasse oblige. De son refuge, il assista à la déferlante orageuse et à la mitraille des grêlons. Eut-il la pensée qu’il y aurait une vive poussée des prix de blé et de là, un fort mécontentement populaire ? Car un an jour pour jour avant le 14 juillet 1789, un autre orage grondait déjà.

Notes

[1] Rapport des membres de l’Académie des sciences sur demande de Louis XVI  ( Tessier (1741-1837), Jean-Nicolas Buache (1741-1825) et  Jean-Baptiste Le Roy (1720-1800).

[2] Suivi de près par l’Ile-de-France et par les généralités de Soissons et d’Amiens

[3] Division administrative pour la perception de la taille et de la gabelle

[4] Journal de Paris, 15 juillet 1788. Versé dans les rubriques mondaines et artistiques, ce journal fait, ce jour, une exception à sa ligne éditoriale

[5] L’orage de 1788, Abbé Sainsot, in Mémoires SAEL, 1895 -1900 tome xii, Chartres, imp. Garnier 1901 p. 150 et 147.

[6] Archives départementales d’Eure-et-Loir, Registre paroissial de Sours, 1788 3E 380/006.

[7] Le curé de Oinville-Saint-Liphard croit savoir qu’on a trouvé dans des registres que « pareil ouragan avait occasionné le même jour, à même heure, il y a 400 ans de semblables ravages ». Source : Mémoires SAEL, 1895 -1900 tome XII p. 150.