1643-1650. François Gendron : de Voves au pays des Hurons et aux « cheutes » du Niagara

Chutes du Niagara, pays des Hurons, cancer du sein d’Anne d’Autriche, rien ne relie ces éléments disparates à l’exclusion de l’extraordinaire parcours de François Gendron né à Voves en avril 1618 et issu d’une famille de cultivateurs qui donna à Dieu quatre des siens. Son frère aîné est curé de Voves de 1640 à 1666 tandis que deux de ses sœurs se sont retirées à l’abbaye des Bernardines à Bourges. Enfin vint le tour de François de se consacrer à Dieu, mais à l’issue d’un itinéraire de douze ans qui emprunta des voies pour le moins inattendues.

François Gendron, beauceron de Voves

Beauce, Belsia vulgo La Beausse », carte de 1659. Beauce délimitée par un trait jaune. Au centre, Chartres.. Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla from Sevilla, España. DR.

Il étudia d’abord la chirurgie à Orléans pendant cinq ans. Le 14 janvier 1643, un certificat lui est délivré attestant « que compagnon-chirurgien natif du village de Vauves en Beauce (sic) pays chartrain, il s’est employé à panser et médicamenter les malades et nous en a contentement donné ». François Gendron aurait sans doute pu devenir maître-chirurgien, mais, à l’enseigne de la corporation, il préféra l’aventure en Amérique du Nord.

Sainte-Marie des Hurons au bord des Grands Lacs où vécut Gendron de 1643 à 1650 ; Québec 800 km au nord-est. DR.

1643 : direction la Nouvelle France, au pays des Hurons

Champlain, fondateur du Canada, n’était mort que depuis huit ans quand au milieu de 1643, François Gendron posa le pied en Nouvelle France. Délaissant Québec, il poussa huit-cents kilomètres à l’est, rejoignant à Sainte-Marie-des-Hurons les Jésuites qui venaient de créer une mission. Son fort abritait une soixantaine de personnes ainsi protégées des Iroquois, alliés aux anglais et aux Hollandais. Tout indique qu’il se plut dans le pays des Hurons. Il apprécie les « belles et grandes plaines cultivées de bled d’Inde » qui contrastent avec « ces faces hideuses de rochers et montagnes stériles comme il se voit presque dans toutes les autres contrées canadiennes[1]  ».

carte des Grands Lacs en1688 par Coronelli. DR.

Qu’y fit François Gendron ?

Il s’intéressa aux mœurs des indigènes et fit preuve d’une certaine largeur d’esprit, écrivant : « Leurs cérémonies, pour être contraires aux nôtres, n’en sont pas moins curieuses à savoir[2] ». En 1650, Ragueneau, supérieur de la mission, résume son engagement en forme d’éloge : « Il a assisté les Français et les sauvages [Hurons] avec beaucoup de charité en toutes leurs maladies ; il y a fait d’excellentes cures, en quantité ; y a toujours vécu avec beaucoup d’édification, dans la pratique de toutes sortes de vertus ; sans gages, sans aucun gain, et purement pour l’amour de Dieu[3] ».

Des Hurons convertis au christianisme.. Bibliothèque et Archives Canada.
Bressani, Francesco Giuseppe. Détail de Novae Franciae accurata delineatio 1657. DR.

Cependant, ce témoignage, qui souligne ses qualités de chirurgien, ses valeurs morales et religieuses, omet d’autres aspects qui font du Vovéen, un véritable précurseur. « Le sieur Gendron, écrit Peter A. Parker, est le premier médecin blanc connu qui a séjourné dans les contrées à l’ouest de la chute [actuellement la province d’Ontario] et qui a vécu parmi les Indiens de l’Amérique du Nord[4]. »

La lettre du père Ragueneau, supérieur de la mission des Jésuites. Il loue le travail de François Gendron. Mémoires et comptes-rendus de la société royale du Canada, série troisième, Tome 6, 1912, p.45. DR.

Ce qu’il voit, ce qu’il décrit : Grands Lacs et Niagara

Surtout, deux courriers par lui expédiés en France en 1644 et 1645 montrent qu’il est le premier à décrire le système hydrographique des Grands Lacs Américains et le second – après Champlain – à évoquer ce qui est aujourd’hui l’une des attractions du tourisme mondial. « De la Nation Neutre, écrit Gendron, tirant presque au Midy, on trouve un grand lac, nommé Erié et qui va se précipiter par une cheute [sic] d’eau d’une effroyable hauteur dans le troisième lac, nommé Ontarié. Dans ce lieu plein d’horreurs habitent aussi certains sauvages[5]. ».  La « cheute effroyable » citée par le beauceron, c’est les chutes du Niagara. Qu’il n’a d’ailleurs peut-être pas vues, mais dont il rapporte ce que les autochtones lui en ont dit[6].

Premier dessin des chutes du Niagara. Père Hennepin, 1697. Library and Archives Canada | Bibliothèque et Archives Canada, Acc. No. R9266-2197 Peter Winkworth Collection of Canadiana | Collection de Canadiana de Peter Winkworth).DR.

« Face hideuses des rochers, cheute d’une effroyable hauteur…» : Gendron informe aussi, en passant, sur son esthétique du paysage. Le bruit et la fureur des chutes d’eau, la démesure du relief montagneux… voilà un monde qui déroute cet homme habitué à la platitude beauceronne dépourvue de cours d’eau.

1650 : retour en France

Le 14 juin 1649, les attaques répétées des Iroquois ont raison de la présence des Jésuites à Sainte-Marie- des-Hurons. Alors, François Gendron reprend le chemin de la France le 23 août 1650 avec, dans sa besace, un précieux remède emprunté à la science locale : un onguent pour « fistules, ulcères rebelles et cancers » dont la base est une poudre de pierres broyées des bords du lac Érié.

L’abbé Gendron, d’après une toile en possession de sa famille. Cliché de Paul Fougeron in P. Champault, Mémoires et comptes-rendus de la société royale du Canada p. 77.  DR.

A peine deux ans plus tard, il est ordonné prêtre le 25 mai 1652, dans la chapelle du collège des Jésuites de Paris. Cette ascension rapide vers le sacerdoce est inhabituelle et ne peut s’expliquer que par des études de théologie faites en amont, à Orléans peut-être ; auprès des Jésuites en Nouvelle-France, sûrement.

Après Sainte-Marie des Hurons et Paris, François Gendron regagne les plaines de sa Beauce natale. Il est nommé vicaire à Voves auprès de son frère Jacques, curé de la paroisse. Avant que le destin ne bascule à nouveau quand, en 1665, il est appelé à la Cour auprès d’Anne d’Autriche, mère du roi-soleil. Sujet de la prochaine chronique eurélienne…

Merci à mon ami Pierre Bouhours qui, par ses recherches sur François Gendron, m’a donné l’idée de cette chronique.

[1] Quelques particularités du pays des Hurons en la Nouvelle-France, remarquées par le sieur Gendron. Troyes et Paris, 1660, p. 12.

[2] Quelques particularités du pays des Hurons en la Nouvelle-France, p.5.

[3] P. Champault, Mémoires et comptes-rendus de la société royale du Canada, Tome 6, pp 35-131, 1912, p.44.

[4] Peter A. Porter, In An Aboriginal Center of Trade, 1906.

[5] Quelques particularités du pays des Hurons en la Nouvelle France. p.7-9.

[6] Avant Gendron, Champlain avait mentionné en 1603 un « saut d’eau ».  Le premier européen à voir et à décrire les chutes du Niagara est le père Hennepin. C’était en 1678.