Aujourd’hui, une chronique dans laquelle Lydie Delanoue [1] – auteure de « Noël Ballay, l’Africain, Avec et sans Brazza » – présente Noël Ballay, figure eurélienne peu connue et qui, pourtant, joua un rôle majeur dans l’exploration de l’Afrique Équatoriale. Aux côtés de Brazza.
La rencontre de Ballay, le beauceron, avec Brazza
Né à Fontenay-sur-Eure le 14 juillet 1847, issu d’une famille d’agriculteurs de Fontenay-sur-Eure, près de Chartres, rien ne prédisposait Noël Ballay à faire de l’exploration de l’Afrique équatoriale le moteur de son existence, sinon sa position d’étudiant en médecine à Paris et sa fréquentation de La Petite Vache, une crèmerie-restaurant du Quartier latin que fréquentaient assidûment les explorateurs et les géographes de l’époque. Il y rencontra Pierre Savorgnan de Brazza en 1874 ; en 1875 se mit en place leur première expédition commune.
Ballay, second de Brazza, chargé d’une mission scientifique
« J’ai accepté d’être chargé d’une mission scientifique, écrivait-il à ses parents, le 31 juillet 1875. Une expédition scientifique est organisée par les ministres de l’instruction publique et de la marine pour étudier le fleuve Ogowai, situé dans la colonie française du Gabon […]. Il fallait un jeune médecin qui, en outre du service médical, serait chargé conjointement avec un naturaliste d’étudier les plantes et les animaux du pays, et d’en recueillir le plus possible pour les rapporter en France, pendant que le commandant de l’expédition, officier de marine serait chargé des observations astronomiques et des levées de plan. Une vingtaine de matelots nous accompagnent. […] C’est une affaire d’une dizaine de mois d’absence. […] Si nous faisons un travail sérieux, ce que j’espère, nous aurons rendu service à notre pays, et nous serons à notre tour récompensés de nos fatigues. » Dix mois d’absence qui dureront en fait près de vingt ans si l’on cumule les trois missions de Ballay avec Brazza ainsi que ses fonctions de gouverneur.
Objectif : atteindre le fleuve Congo
La première expédition dura trois ans et ils durent rebrousser chemin avant d’avoir atteint le fleuve Congo, à cause de l’opposition des Apfourou, peuple des rives de l’Alima[2] : « Nous étions arrivés ainsi par quinze degrés trente minutes de longitude Est et un degré quinze minutes de latitude Sud, quand sans aucune raison, nous fûmes attaqués par ces mêmes Apfourou[3] que nous avions comblés de présents. […] il nous fallut abandonner tout ce qui n’était pas absolument nécessaire. Ce qui nous restait de la vie européenne, provisions, instruments devenus inutiles, livres, collections botaniques et zoologiques, récoltées avec tant de peines, au prix de tant de souffrances et de fatigues, tout fut impitoyablement jeté dans le fleuve pour alléger notre marche. […] Quelques mois plus tard, nous étions au Gabon, et au commencement de 1879 nous rentrions en France[4]. »
Deux autres expéditions, leurs difficultés
Le temps de soutenir sa thèse de médecine, de passer commande de rails et de wagons, auprès de l’entreprise Decauville, et voilà Ballay reparti avec « différentes pièces de machines pour les canots à vapeur de la mission », la deuxième que menait Brazza. Son rapport à Jules Devaux, alors ministre de l’Instruction publique, évoque assez les difficultés rencontrées : « Nguini (Rivière Passa) 20 novembre 1882.
[…] La saison extraordinairement sèche cette année, avait rendu très dangereuse la navigation du fleuve ; et j’ai attendu la fin de cette saison pour obtenir les pagayeurs et les pirogues, qui ont toutes été achetées par Mr de Brazza […]. Aussi l’état des eaux est la cause que j’ai perdu des pièces de la seconde chaloupe, noyées dans les rapides du fleuve ; la troisième tranche arrière, deux chaudières et tous mes rails Decauville. […]
Mes marchandises d’échange commencent à s’épuiser, et le crédit qui m’avait été alloué pour les renouveler et payer les suppléments de solde de mon personnel est complètement épuisé. En redescendant vers le bas Ogooué dans quelques mois, j’enverrai les factures à l’appui de mes dépenses. J’enverrai également mes collections et des photographies faites par moi[5].»
La rencontre de Ballay avec le Makoko
Peu avant, Noël Ballay avait reçu de Jules Ferry la mission de se rendre au poste de Brazzaville fondé en 1880, afin de resserrer « encore les liens d’amitié que M. de Brazza avait noués si heureusement avec les chefs du pays[6] ». Noués avec le Makoko[7], souverain de la tribu des Batéké, ces liens avaient permis à Brazza de conclure avec lui un traité permettant aux Français de s’établir sur la rive droite du Congo, lieu de naissance du « Congo français ».
Ballay, l’Africain à la conférence de Berlin
Lorsqu’en 1884 s’acheva la troisième mission de Brazza – dite de « l’Ouest Africain » -, Ballay avait descendu le premier le cours de l’Alima, pour gagner ensuite Brazzaville. Il avait rencontré le Makoko et complété son carnet d’observations. Sa parfaite connaissance des lieux l’amena à représenter la France à la Conférence de Berlin[8] en 1885, en tant que délégué technique. Sur le terrain ensuite, il participa à la Commission de délimitation des frontières.
Aux étapes suivantes, on le retrouve lieutenant-gouverneur du Gabon, gouverneur de la Guinée Française, puis de l’Afrique Occidentale Française à partir du premier novembre 1900.
Ainsi, le natif de Fontenay-sur-Eure, fut un artisan de l’exploration de l’Afrique Équatoriale et des premières étapes de la colonisation française en Afrique Noire.
[1] Lydie Delanoue, auteure de Noël Ballay, l’Africain, Avec et sans Brazza, L’Harmattan, 2016, 452 pages.
[2] Cours d’eau de 500 km, affluent du fleuve Congo. Navigable toute l’année, l’Alima relie par pirogues plusieurs villes de cette zone comme Mossaka, Oyo, Owando.
[3] Peuple qui vivait le long de l’ Alima et qui commerçait des marchandises européennes qu’il recevait des Batékés.
[4] Archives de la famille Ballay.
[5] FRANOM 16 PA II/2. La deuxième mission dura de 1880 à 1882.
[6] Archives de la famille Ballay.
[7] Le Makoko détient une autorité sur un territoire s’étendant du centre de ce qui est devenu la République du Congo, à une partie du Gabon et une partie de la République démocratique du Congo.
[8] Elle se tint de novembre 1884 à février 1885. Les grandes puissances y discutèrent de l’avenir des possessions européennes en Afrique, de la navigation et du commerce au cœur du continent. Les frontières du Congo (qui revint au roi des Belges) et du Congo-Brazzaville (qui revint à la France) furent fixées. Les peuples et les rois africains furent tenus à l’écart de toutes les discussions.