Depuis 1958, le général de Gaulle avait rendu visite à tous les départements. Sauf à l’Eure-et-Loir. A qui il réserva l’ultime étape de son septennat. Mené tambour-battant, selon un minutage digne d’un horloger suisse, le programme avait prévu des haltes à Nogent-le-Rotrou, Châteaudun et Dreux et de brefs arrêts dans des communes rurales traversées. Le point d’orgue en était l’étape chartraine[1].
Bain de foule et… sécurité.
Partout, l’accueil fut enthousiaste. De Gaulle prit des bains de foule, serra les mains qui se tendaient, leva les bras en V après la Marseillaise, suscita des applaudissements frénétiques. L’Echo Républicain est sous le charme : « Une sorte de fluide émane du Général qui galvanise la population ».
Mais pas d’enthousiasme sans sécurité grand format : 4 000 hommes étaient affectés au service d’ordre. Des équipes de déminage inspectèrent les rues et les égouts à proximité des itinéraires, des arrêtés municipaux interdirent « de grimper aux arbres, aux lampadaires et sur les lieux élevés dominant l’itinéraire » tandis que dans les 50 Citroën DS 19 du cortège présidentiel, des « gorilles » étaient armés jusqu’aux dents. Entre 1958 et 1965, le président avait été la cible de plusieurs attentats dont le dernier avait été déjoué le 19 mai 1965, en Vendée[2].
Première étape : Nogent-le-Rotrou, 10 heures 25
Parti de Montparnasse, le président, accompagné de son épouse et de cinq ministres dont celui de l’Information [temps révolu…] arrive à destination à 10 heures 25.
Après avoir écouté les doléances du maire réclamant des moyens pour un lycée polyvalent et une piscine, de Gaulle fait sa première allocution. Sortant des considérations locales pour développer sa vision géopolitique, il affirme que dans « ce monde-là [celui de la guerre froide] notre pays a un grand rôle à jouer ». L’actualité d’ailleurs le rattrape : il doit soustraire à son emploi du temps quelques minutes pour téléphoner au Quai d’Orsay au sujet du coup d’état ourdi en Algérie par Boumediene contre Ahmed Ben Bella.
Châteaudun, deuxième étape, 12 heures 30
Le trajet vers Châteaudun est rythmé par des haltes à Beaumont-les-Autels – où le maire offre au président deux pots de rillettes – à Brou et à Logron. A 12 heures 30, de Gaulle est la mairie. L’édile lui expose les soucis liés au collège d’enseignement technique en chantier depuis cinq ans.
Puis de la Place du 18 octobre, le président loue devant les Dunois la résistance de leur ville lors de l’invasion prussienne de 1870 et présente sa conception de l’Europe : « Un jour d’un bout à l’autre du continent de l’Atlantique à l’Oural, notre Europe pourra s’installer dans l’équilibre et la coopération ». En attendant, il insiste sur la nécessité des pays d’Europe Occidentale à « se défendre ».
Dreux, troisième étape, 15 heures 20
C’est à 15 heures 20 que le Général et sa suite arrivent en gare de Dreux, rajeunie à l’occasion par quelques coups de pinceaux[3]. L’attendent M. Cauchon, le maire, le sous-préfet, le député Thorailler[4] et les 50 DS du convoi.
La pause drouaise ne doit pas dépasser une heure. Entouré des notables et des édiles du canton, M. Cauchon vante le dynamisme de sa ville mais ne manque pas d’en pointer les difficultés : la forte expansion industrielle[5] et le rajeunissement de la population imposent de lourdes charges. Le ton est détendu.
Quand le maire présente Leloup, conseiller municipal et « meilleur pâtissier de la région », de Gaulle réplique : « Je communiquerai l’adresse à mon épouse… ». Puis, c’est direction Place Métezeau où le podium a été dressé. Plus de 3 000 personnes écoutent le président qui, entre deux quintes de toux, défend « la solidarité nationale aujourd’hui plus nécessaire que jamais ».
Une mariée et une contrariété présidentielle avant Chartres
La route vers Chartres, dernière étape, emprunte le chemin des écoliers : arrêts à Ecluzelles, à Villemeux, à Chaudon – où de Gaulle embrasse la mariée sortant de la mairie – Nogent-le-Roi, Maintenon et enfin Lèves où le maire radical Castaing remet au président une pétition de 7 200 signatures de parents inquiets de l’avenir des écoles rurales. Réponse irritée du chef de l’Etat : « Jamais, grâce à Dieu et grâce à la France, on a fait autant pour nos écoles que depuis sept ans[6]. » C’est la seule contrariété signalée du voyage.
Point d’orgue de la visite : Chartres
A 17 heures 50, les cloches de la cathédrale annoncent l’arrivée présidentielle. Ce 19 juin, presque jour anniversaire de l’appel à la Résistance, l’homme du 18 juin dépose une gerbe au monument Jean Moulin.
Vingt minutes plus tard, de la Place des Epars, devant 6 000 personnes, le chef d’Etat se fait le chantre de l’unité nationale et donne à entendre, si l’on suit le journaliste de l’AFP, « le discours le plus passionné qu’on l’ait depuis longtemps entendu prononcer ». Le dîner réunit 34 invités, tous des hommes. Autre temps, autres mœurs … La très discrète Mme de Gaulle passe la soirée chez les de Boissieu, les beaux-parents de leur fille[7].
Chartres vaut bien une messe
Après une nuit réparatrice à la préfecture, le couple présidentiel, les cinq ministres auquel s’est adjoint André Malraux assistent à la messe à la cathédrale de Chartres. Sans que cet épilogue religieux à un voyage tout de même officiel suscite le moindre murmure. A la fin de la cérémonie, Olivier Messiaen fait jouer pour la première fois Et expecto resurrectionem mortuirum.
Quand le Général sort de la cathédrale, la DS présidentielle l’attend. Levant les bras, il fait ses adieux aux Chartrains.
Décembre 1965 : Les élections présidentielles en ligne de mire
Lors du discours du président à Chartres, des voix s’étaient élevées : « Rempilez », une banderole avait été brandie portant un V encadré par les années « 1965-1972 », celle de son possible second mandat. Les élections présidentielles avaient lieu six mois plus tard. Le Général n’était pas venu en candidat en Eure-et-Loir, mais il n’avait pas manqué d’aborder les sujets qui comptent : la solidarité, l’unité nationale, les relations internationales et l’Europe. Surtout, il avait constaté la ferveur de la foule à son endroit. Confiant – trop ? –
De Gaulle se déclara candidat quatre semaines seulement avant le premier tour. Mais il fut mis en ballotage avec 44,6% des voix [et 45,7% en Eure-Loir], un score à faire rêver aujourd’hui les candidats à la présidence. Au second tour, de Gaulle l’emporta contre François Mitterrand.
[1] Sauf exception signalée, les informations proviennent de l’ Echo Républicain et de la République du Centre. Pendant une semaine, les articles se sont multipliés pour présenter la visiter et la relater.
[2] Le 19 mai 1965, 10 le 20 mai. Le président passe à Sainte-Hermine où, au pied de la statue de Clemenceau, il rend hommage au Tigre. Un attentat de l’OAS, prévoyant le dynamitage de cette statue, a été déjoué par ses services peu de temps auparavant. Le plus connu des attentats est celui du Petit-Clamart, le 22 aout 1962. Une des balles cassa la lunette arrière de la DS présidentielle et passa entre de Gaulle et son épouse.
[3] De Gaulle a voyagé en train à partir de Courtalain.
[4] Ancien du RPF que de Gaulle était venu soutenir lors des élections législatives de 1952.
[5] Usine de télévision Phillips à la radiotechnique. Un téléviseur fut offert au Général. Qu’il aurait conservé à son usage, offrant le sien à une maison de retraite. Source : http://dreux-par-pierlouim.over-blog.com/2020/11/charles-de-gaulle-a-dreuxen-1965.html
[6] Le Monde, 22 juin 1965.
[7] Alain de Boissieu-Déan de Luigné, dit Alain de Boissieu né le 5 juillet 1914 à Chartres a épousé, Elisabeth de Gaulle, le 2 janvier 1946. Les deux futurs époux s’étaient rencontrés à Londres en 1941.