Affaire criminelle la plus médiatisée de l’histoire de France avant les années 1920 – celles de Landru et Seznec – le quintuple assassinat de Corancez eut un retentissement international. Ce petit village, planté à cinq kilomètres de Chartres, se glissa dans les colonnes du New-York Times, de l’Auckland Star Néozélandais ou encore de l’Observer anglais.
Extrait d’un article du New York Times, 23 juin 1901. DR.
Le quintuple assassinat des enfants Brierre
C’est que, exceptionnel par le crime, l’affaire Brierre le fut aussi par sa durée – près de dix ans – et par le mystère qui entoura la culpabilité et la personnalité du coupable présumé.
Portrait de Brierre à la une du Petit Parisien, 15 décembre 1901. DR.
Dans la nuit du 21 avril 1901, des habitants de Corancez sont réveillés par des cris. Bonnet de nuit sur la tête, ils découvrent Brierre allongé sur la route, le visage en sang. Dans un râle, il dit qu’on a tenté de l’assassiner. Du moins est-il vivant. Mais les enfants ? Les voisins se ruent dans la maison toute proche. Vision d’horreur, sang à terre, éclats de cervelle sur les murs. La femme Baron en ressort en hurlant « Tout est mort, tout est tué ».
Le juge d’instruction à la ferme Brierre le 22 avril 1901. Le Petit Parisien, 15 mai. DR.
Coup de théâtre
Très vite, le juge d’instruction établit que les enfants Brierre ont été tués d’un coup de coutre, pièce métallique de l’avant d’une charrue. Seule Germaine la cadette, alors apprentie chez sa tante à Paris, a échappé au massacre.
Brierre à l’arrière-plan coiffé de sa casquette. Le cheval active la trépigneuse. Au premier plan, ses journaliers. L’Illustration, 11 mai 1901. Collection particulière. DR.
À la stupeur générale, c’est Brierre, père et veuf sans histoire, qui est inculpé le surlendemain : les instruments du crime, ses vêtements tachés de sang sont retrouvés dans sa ferme et son alibi apparait peu crédible. On découvre ensuite que ce paysan modèle avait des revenus en baisse, des dettes et une maîtresse. Au fil des semaines, le village qui, au début, parlait en sa faveur témoigne désormais à charge et l’accable de mille défauts – sournois, hautain, infidèle – mais reconnaissent qu’il était un bon père. Brierre a réponse à tout, récuse en bloc les accusations et crie au complot, ourdi par ses ennemis du village.
En décembre, le procès fait sensation.
Brierre au procès revêtu des habits ensanglantés avec lesquels il fut retrouvé inanimé le 22 avril. Cette reconstitution choqua. L’Illustration, 28 décembre 1901. Collection particulière. DR.
Plus de cinquante journalistes sont présents, la petite salle de trois cent places ne peut satisfaire les six mille demandes…Que retenir des débats ? le président est partial, le procureur implacable, l’avocat dépassé, l’accusé inébranlable dans ses dénégations et un dernier témoin qui émeut : c’est Germaine Brierre, 14 ans. Convaincue de l’innocence de son père, elle implore le président, tombe à genoux : « Je demande qu’on me rende mon papa, il était bon pour nous, il nous aimait bien. » La scène provoque une intense émotion, arrachant même des larmes aux vieux routiers de la cour d’assise. Mais en trente-cinq minutes, le jury vote la mort à l’unanimité bien qu’il n’y ait pas d’aveu, pas de preuve irréfutable, pas de témoin direct et pas de mobile.
Germaine Brierre implore le juge Belat d’innocenter son père. L’Illustration, 28 décembre 1901. Collection particulière. DR.
La grâce pour Brierre ?
C’est pourquoi des voix s’élèvent – dont celle de la Ligue des droits de l’homme – pour réclamer sa grâce. Que le président de la République accorde le 1er février 1902, suscitant l’ire des antidreyfusards pour qui la grâce de Brierre, comme celle accordée à Dreyfus en 1899, est une atteinte à l’autorité de la justice, donc de l’État. Brierre est envoyé à l’île de Ré en février 1902 avant de gagner le bagne de Guyane. Il rejoint l’île Royale où est parquée la fine fleur des criminels. Les évasions y sont impossibles en raison des requins qui patrouillent en permanence.
L’île Royale où est envoyé Brierre fait partie des îles du Salut. Elle sont situées à 15 kimomètres de la côte guyanaise. DR.
Un forçat modèle
Brierre est un forçat atypique qui ne fraye pas avec les autres. Ils sont étrangers à son monde ainsi qu’il l’écrit à sa fille : « c’est terrible, un homme comme moi qui a toujours vécu et travaillé honnêtement, obligé de vivre avec un entourage comme ça[1]. » Sa conduite exemplaire lui vaut d’être affecté à l’infirmerie du petit hôpital où l’ancien paysan fait merveille.
Brierre en 1909 pose devant l’objectif du docteur Collin avec Manda, l’amant de Casque d’or. Avec l’aimable autorisation de Philippe Collin. DR.
Appuyé par ses supérieurs, il entame avec une extraordinaire constance le combat pour la reconnaissance de son innocence. Soutenu par sa fille Germaine et, à partir de 1909, par une campagne de presse orchestrée par Le Petit Parisien et le Matin (1,5 million d’exemplaires par jour…), il espère une nouvelle grâce ou un nouveau procès. Il meurt en mars 1910 avant que ne survienne un ultime rebondissement et, par conséquent, un nouvel emballement médiatique, en France et à l’étranger[2].
L’affaire Brierre, un livre.
RTL « Un livre passionnant » Jacques Pradel, RTL, 3 avril 2015, « l’heure du crime » . « Une affaire hors norme » Jacques Pradel, RTL, 29 octobre 2018
Revue « L’histoire » « Dans un livre bien renseigné, Alain Denizet relate le drame, s’interroge sur le mobile du crime, et surtout suit la construction médiatique de l’affaire à travers plusieurs campagnes de presse ».
[1] La Presse, 17 avril 1902, lettre à sa fille
[2] A ce propos, Alain Denizet, L’Affaire Brierre, un crime insensé à la Belle Epoque, La Bisquine 2015.