1902 : Géo Lefèvre invente le Tour de France. Mais quel est le parcours de cet homme à l’origine de la course la plus célèbre du monde ?
Georges Lefèvre, orphelin de père
Né à Paris le 12 février 1877, Georges Lefèvre est orphelin de père en 1890. Sa mère obtient une bourse de pensionnaire grâce à l’appui de Raymond Poincaré, le futur président de la République. Les deux familles se connaissaient bien puisque le père de Raymond Poincaré, inspecteur général des Ponts et Chaussées, avait pour premier collaborateur le père de Georges Lefèvre. Dans son livre[1], ce dernier raconte comment le hasard l’amena au lycée Marceau : « On nous laissa le choix entre Evreux et Chartres. Ma mère opta pour Chartres. » Et ajoute-t-il rétrospectivement, « ce fut la chance de ma vie[2] ». Voici pourquoi.
Georges Lefèvre, le lycée Marceau, la rencontre avec Sevrette
Ses dispositions pour les études littéraires sont encouragées par des professeurs de lettres « hors-pair ». Mais il découvre un professeur d’anglais pour le moins atypique, Gaston Sevrette. « Cette grande perche, sec, teint blond et rose et aussi britannique que le major Thompson » – ainsi le décrit-il – fut décisif dans la vie du futur inventeur du Tour de France. Athlète confirmé, Gaston Sevrette écrivait aussi à l’occasion des articles pour des journaux sportifs et donnait toute sa mesure dans l’organisation de compétitions locales et régionales.
Le 20 janvier 1895, L’Écho de Paris rapporte qu’il préside une course de crosscountry à Etampes ; le 11 mai 1896, le journal Le Vélo mentionne son nom au départ du prix Emile Levy, course cycliste chartres-Bonneval. Infatigable et curieux de tout, il est aussi le maitre d’œuvre d’un concours de chiens de bergers à Chartres le 23 mai 1896, mais également vice-président de la ligue des enfants de France.
Gaston Sevrette, l’initiation à la compétition
Mais ce professeur d’anglais innovant – il met en place une correspondance avec des écoles britanniques – entraîne ses élèves au grand air : « Le jeudi et le dimanche, il nous initiait au rugby sur la pelouse en pente du Clos Pichot et nous faisait disputer des courses sur l’allée circulaire de ce petit parc.
Chaque année, il organisait à Chartres une réunion interclubs dite Réunion des Grands Prix. » Bref, un homme entreprenant, débordant d’énergie et d’idées. Tout pour impressionner le jeune élève du lycée Marceau et semer dans son esprit les germes de sa future vocation.
Débuts dans le journalisme de Géo Lefèvre
Il a tout juste vingt ans quand, le 13 avril 1897, son nom apparait pour la première fois dans la presse sportive à la faveur de la Coupe Marguerite de rugby. Elle oppose les équipes troisièmes du Racing club de France contre le Stade Français dont il est le capitaine. Désigné sous le prénom de Géo, il ne sera plus jamais Georges Lefèvre. Il participe aussi à des courses de vitesse (100 mètres et 110 mètres haies) ainsi qu’à des courses de fond. Nouvelle étape, le 1er juillet 1897, son nom est cette fois cité dans Le Journal des Sports en tant que « secrétaire de la commission de la course à pied du Stade Français », puis bientôt commissaire aux courses. Le jeune Géo fait son apprentissage. Sportif, débrouillard, bachot en poche, il a tout pour séduire une presse sportive naissante à la recherche de jeunes talents.
C’est à la sortie d’un match de rugby qu’un journaliste du Vélo, dirigé par Giffard, lui propose de chroniquer les matchs de seconde catégorie à raison de cinq francs par dimanche. Tournant décisif. « J’abandonnai les études classiques… et tentait ma chance comme journaliste sportif ».
Géo Lefèvre, chef de la rubrique cycliste dans L’Auto…
Son premier article, publié dans la rubrique « sports athlétiques » parait le 24 mars 1898. Il y défend le rugby contre le football-rugby, « jeu qui demande le nombre le plus restreint de joueur et qui est le plus aisé à pratiquer de façon médiocre[3] ». Très vite, ce rédacteur prometteur est débauché en janvier 1901 par le journal L’Auto – ancêtre de L’Equipe – fondé par Victor Goddet et Henri Desgranges. Chef de la rubrique cycliste à 24 ans, il couvre les grandes courses en France et à l’étranger notamment à Rome et à Berlin.
Géo Lefèvre lance le Tour de France
Le 2 décembre 1902 est une date historique. Desgranges, le patron de L ’Auto, invite Géo Lefèvre à déjeuner au Zimmer Madrid, boulevard Montmartre[4].
N’a-t-il pas une idée pour concurrencer Le Vélo de Giffard, inventeur des courses Paris-Brest et de Paris-Roubaix ? Sans grande conviction, Géo Lefèvre lance : « Pourquoi pas le tour de France. On ferai des étapes avec des jours de repos. » Desgranges balaie d’abord sa proposition d’un revers de main, avant de se raviser.
Bien lui en prit, le Tour de France devint la compétition cycliste la plus populaire au monde. Géo Lefèvre, son inventeur, à peine vingt-six bougies, avait quitté quelques années plus tôt le lycée Marceau de Chartres. Riche de l’enseignement de Gaston Sevrette, l’homme qui lui inculqua l’amour du sport, de la compétition et le sens de l’initiative.
Notes
[1] Ceux que j’ai rencontrés, Géo Lefèvre, S.O.S.P. Paris, 1962. Les extraits cités : bulletin 2012/2013 de l’association des anciens élèves du lycée Marceau et Hélène Boucher de Chartres, p. 4-9.
[2] Ceux que j’ai rencontrés, Géo Lefèvre, chapitre 2 : « l’initiation ».
[3] Le Vélo, 24 mars 1898
[4] Henri Desgranges (1865-1940) a été coureur cycliste de haut niveau ( 12 records du monde sur piste), directeur sportif puis journaliste à L’Auto. Il organise le premier tour de France en 1903.