Seconde chronique de Lydie Delanoue consacrée à Noël Ballay[1].
Noël Ballay gouvernait l’A.O.F. [Afrique Occidentale Française] depuis le 1er novembre 1900, lorsqu’il succomba à une pneumonie diabétique, et non à l’épidémie de fièvre jaune qu’il s’était fait un devoir d’aller combattre.
La mort du gouverneur Ballay
Le diabète le rattrapa dans les premiers jours de l’année 1902. Son officier d’ordonnance alerta son neveu André[2], les 22 et 23 janvier. La lettre du 28 se révéla fatale :
« St Louis-du-Sénégal, Mon cher ami,
Les espérances que je vous ai manifestées successivement par lettre et par télégramme ont été démenties : la mort a fait son œuvre terrible, votre oncle n’est plus.
L’émotion produite ici a été considérable […]. L’émotion n’a pas été moindre en France et notre Parlement a voté des funérailles publiques. Tout ceci n’est que justice et hommage cent fois mérité à Mr Ballay. […] Il a fait preuve pendant sa maladie de la même simplicité, résignation et du même courage que pendant toute sa vie tandis que son entourage espérait toujours se faisant des illusions, lui ne s’en faisait aucune et pourtant il n’a pas eu un moment de faiblesse ni de découragement. […]
C’est exactement le 26 janvier à 2h 45 du matin qu’il a rendu le dernier soupir. […] Réunis dans une commune douleur, je vous serre cordialement la main. Chasles[3] »
Transfert du corps de Dakar à Chartres, via Bordeaux
La correspondance entre les deux hommes se poursuivit le 5 février 1902 : « Le transfert des restes mortels de votre oncle en France se fera sans doute par le paquebot quittant Dakar le 21 février, pour arriver à Bordeaux le 28. […] Le Ministre nous a câblé que la cérémonie aurait lieu à Chartres sur votre demande. […] Je vous envoie un Journal officiel relatant les cérémonies qui ont eu lieu ici […]. Vous verrez que le deuil a été profond et sincère… mais le vide laissé par M. Ballay est plus profond encore… […] »
Né à Fontenay-sur-Eure, le 14 juillet 1847, Noël Ballay avait passé en Afrique la seconde moitié de son existence. En 1874, alors qu’il étudiait la médecine à Paris, il avait été engagé par Pierre Savorgnan de Brazza qui préparait sa première expédition africaine et souhaitait la présence d’un médecin à ses côtés[4].
L’hommage de Brazza, compagnon de route
En 1902, Brazza soignait à Alger une santé de plus en plus dégradée, quand il apprit le décès de son ancien second[5].
Ce télégramme suivit : « Prière déposer couronne Brazza au compagnon premières explorations. » Puis cette dépêche, à la veille des obsèques : « M. de Brazza exprime à la famille du gouverneur général de l’Afrique Occidentale le regret que l’état de sa santé ne lui permette pas de venir accomplir un pieux devoir auprès de l’ami disparu et rendre hommage à la mémoire du compagnon qui, dès l’origine et durant quatorze années, l’a puissamment aidé dans l’exploration et secondé dans le gouvernement général du Congo français.
La tradition des peuples de l’Ouest africain perpétuera le nom de l’homme droit, juste et bon dont l’âme élevée personnifia le génie de la civilisation. Pour la génération nouvelle, la personnalité de Noël Ballay sera un grand exemple et sa tombe demeurera le témoin d’une vie consacrée tout entière au service de la patrie, à la prospérité et à la grandeur de la France coloniale[6]. »
4 mars 1902 : Funérailles nationales à Chartres
Ses funérailles nationales se déroulèrent à Chartres le 4 mars. Le coup d’envoi en fut donné à l’entrée de l’express de Bordeaux en gare de Chartres. D’abord placé dans une chapelle ardente, le cercueil prit à dix heures trente-cinq la direction de la cathédrale, via l’ancienne rue du Grand-Cerf, devenue la rue Noël Ballay un mois plus tôt.
Les délégations, le char de fleurs, les membres du clergé, la musique du 102e régiment d’infanterie formaient l’avant de la procession. Venait ensuite le corbillard de 1ère classe, avec ses quatre chevaux caparaçonnés de noir. Il n’y eut qu’une ombre au tableau de cette cérémonie restée unique dans les annales chartraines : le premier à parler devant être un ministre, l’abbé Beauchet fut empêché de prononcer son oraison funèbre.
Albert Decrais, ministre des Colonies, s’exprima sur la place des Épars : « Lorsque la guerre [de 1870] éclata, il fut un des premiers à s’engager parmi les mobiles d’Eure-et-Loir. […] Sa conduite fut si belle au combat de Fréteval[7], qu’il fut cité à l’ordre du jour et, quelque temps après, décoré. Il ne tenait qu’à lui de passer officier. Il ne le voulut point. […] C’est comme médecin qu’il reçut son premier galon. » (Journal officiel, 7 mars 1902) Lui succédèrent notamment MM. Étienne et Fessard[8], après quoi les troupes défilèrent.
Dans sa dernière demeure auprès des siens
Le corbillard gagna le cimetière de Fontenay-sur-Eure en début d’après-midi. Noël Ballay y retrouva ses parents, son frère aîné, sa belle-sœur. André et son épouse les rejoignirent en 1942 et 1965.
De nos jours, la rue principale de Fontenay-sur-Eure, sa fresque et son itinéraire numéroté perpétuent le souvenir de « Noël Ballay, l’Africain ». Sans compter, à Chartres, la principale artère commerçante de la ville, rue Noël Ballay depuis février 1902 et un monument érigé tout près du lycée Marceau, inauguré le 14 juillet 1904. Une seconde inauguration du même monument eut lieu le 8 octobre 1950, après restauration des bronzes que l’occupant allemand avait pillés en 1942.
[1] Lydie Delanoue, auteure de Noël Ballay, l’Africain, Avec et sans Brazza…, L’Harmattan, 2016, 452 pages.
[2] Au sujet du neveu de Nöel Ballay, Lydie Delanoue, Le lieutenant Ballay d’après sa correspondance, L’Harmattan, 2018.
[3] Archives de la famille Ballay.
[4] Voir à ce propos, la chronique # 54.
[5] Brazza mourut à Dakar le 14 septembre 1905. Le gouvernement lui avait confié une mission sur les conditions de vie sans les colonies. Son rapport qui dénonçait les influences de l’intérêt privé dans la politique coloniale fut caché au public. Il a été publié en 2014 aux éditions Le passager clandestin.
[6] Journal de Chartres, 6 mars 1902.
[7] Commune du Loir-et-Cher en lisière de l’Eure-et-Loir.
[8] Eugène Étienne (1844-1921), sous-secrétaire d’État aux Colonies de 1887 à 1890, fut député d’Oran de 1881 à 1919. Il occupa le poste de ministre de l’Intérieur en 1905 ; celui de ministre de la Guerre en 1906. Fessard fut maire de Chartres de 1893 à 1912 et sénateur d’Eure-et-Loir de 1905 à 1912. Il est l’un des fondateurs avec notamment Paul Deschanel du quotidien La Dépêche d’Eure-et-Loir.