1930, Nogent-le-Rotrou :  courses de taureaux en débat

Et si la course landaise était la prochaine cible des opposants à la corrida ? C’est une inquiétude dans le milieu des courses taurines depuis le dépôt d’une loi contre la corrida par le député LFI Aymeric Caron le 16 novembre 2022. Une inquiétude, qui en fait, remonte au moins au premier tiers du XXe siècle. En mai-juin 1930, la Société Protectrice des Animaux [SPA] en demandait l’interdiction à Melun et… à Nogent-le-Rotrou[1]. Retour sur une drôle d’histoire à corne et à chiffon rouge.

Courses de taureaux « sans mise à mort  » pour le 14 juillet

Dans un courrier daté du 9 juin 1930, Haudebourg, président du comité des fêtes de la sous-préfecture percheronne sollicite du préfet « l’autorisation pour l’organisation de deux séries de courses de taureaux les 13 et 14 juillet prochain ». Se prévalant de la bénédiction municipale, Haudebourg aligne deux arguments qui flattent les meilleurs sentiments : « Les courses doivent être faites au profit de la crèche municipale ». Surtout, elles seraient faites « règlementairement avec des banderilles », mais – tout est dans le mais…- « sans mise à mort, ni éventrations des chevaux » puisque les cornes des taureaux seraient garnies de cuir.  

Extrait du courrier de Haudebourg au préfet, Archives départementales d’Eure-et-Loir, 4 MP 424.

En somme, assure la réclame, « un spectacle d’une importance exceptionnelle et absolument inédit dans nos régions », donnant à voir écarts, feintes et jeux de jambe. Rien à voir avec la sanglante corrida. Mais la demande tout en rondeur du comité des fêtes nogentais intervient dans un contexte très particulier.

Contexte défavorable après les incidents de Melun

Le 29 mai, dix jours plus tôt, des incidents ont éclaté à Melun à l’occasion de courses taurines organisées par la mairie au profit de la caisse des écoles. La SPA, présidée par la très influente Camille de Gast[2], a dépêché sur place quinze bus et six cents militants très disciplinés, reconnaissables à leurs œillets rose.

courses de taureaux, Melun 29 mai 1930

Melun, 29 mai 1930. Camille de Gast, au centre, très entourée et portant l’œillet au chapeau. Source, Gallica, BNF. DR.

Très vite, ils investissent les gradins et font grand bruit avec leurs sifflets à roulettes[3].  Trente militants font plus fort : ils pénètrent dans l’arène et se plantent devant la tribune officielle. Dans une atmosphère survoltée – sifflets des « anti », bronca des « pour » et refrains espagnols débités par haut-parleurs – les gardes-mobiles à cheval les dispersent avec rudesse[4]. L’événement fait la une de la presse.

Extrait de Bonsoir, 31 mai 1930 : « Des jeunes gens, pour la plupart, et de fort bonne tenue, se prirent par la main et, formant une ronde, se présentèrent devant la tribune officielle, sans avoir encore poussé un cri, sans avoir fait la moindre provocation. » Photographie, agence Rol. Source Gallica, BNF. DR.

Certains journaux s’indignent, d’autres, comme Le Petit Journal, relativisent : « À dire vrai, les courses de Melun nous ont paru bien innocentes. Il ne s’agissait que d’un spectacle d’adresse, comme on en voit tous les dimanches dans les Landes où des garçons jouent avec le taureau, comme la petite souris jouerait avec le gros chat »…

« Le gros chat et la souris »… C’est le même genre de spectacle qui doit être présenté à Nogent-le-Rotrou le 14 juillet. Source, Excelsior, 30 mai 1930.

Prudemment, le préfet annule les courses prévues le 31 mai et le 1er juin. La SPA et Camille de Gast ont gagné à Melun. Reste un second combat à remporter : celui de Nogent-le-Rotrou.

La Société Protectrice des Animaux : le combat de Nogent-le-Rotrou

Une semaine après la demande du comité des fêtes nogentais, alertée on ne sait comment, Camille de Gast interpelle le préfet d’Eure-et-Loir par un courrier circonstancié. Condamnant d’abord « l’immoralité d’un spectacle barbare indigne d’un peuple civilisé », elle pointe la mauvaise foi des organisateurs qui présentent les courses comme de « simples jeux de capes » sans danger pour les animaux. Or, écrit-elle, « lorsque les taureaux et les chevaux sont en présence dans l’arène, qui peut répondre qu’il n’y aura pas de contacts, c’est-à-dire blessures et éventrements ? » La conclusion tombe, aimable, ferme et fondée : « Je viens vous prier, Monsieur le Préfet de bien vouloir interdire ces courses de taureaux au nom de la loi de 1850 et des arrêts de la cour de Cassation du 13 juin 1925 ».

Nogent-le-Rotrou, courses de taureaux

Extrait du courrier de Camille de Gast au préfet, Archives départementales d’Eure-et-Loir, 4 MP 424.

Mais que dit la loi ? 

Que dit la loi que Camille de Gast rappelle au préfet ? La loi Grammont, votée en 1850, proscrit les mauvais traitements exercés envers les animaux domestiques. À ceux qui prétendent que le taureau est sauvage, la Cour de cassation a répondu le 13 juin 1925, qu’élevé et nourri par les soins des hommes, il répondait aux critères de la domestication. La plupart des juristes estiment que les courses de taureaux contreviennent à la loi.  Leurs organisateurs ont cependant beau jeu d’expliquer aux maires qu’elles ne sont pourtant pas ou rarement interdites.

Alors ? courses de taureaux ou pas à Nogent-le-Rotrou ?

Et à Nogent-le-Rotrou ? Le contexte a porté. De l’enquête menée par le préfet, il résulte que les autorités locales, instruites par l’exemple de Melun, « verraient sans regret rejeter cette demande ». Aussi, le préfet d’Eure-et-Loir suggère-t-il fortement au ministre de l’Intérieur d’interdire les courses de taureau prévues à Nogent-le-Rotrou pour la fête nationale. Interdiction ministérielle actée le 21 juin : « Conformément à vos conclusions, il n’y a pas lieu d’autoriser le président du comité des fêtes de Nogent-le-Rotrou à organiser le 13 et 14 juillet des courses de taureaux ».

Télégramme daté du 8 juin du président du Conseil et ministre de l’intérieur ( André Tardieu) à l’ensemble des préfets. Conséquence des évènements de Melun, désormais les courses de taureaux sont subordonnées à l’approbation du ministère. Dont celles de Nogent-le-Rotrou. Archives départementales d’Eure-et-Loir, 4 MP 424.

Curieusement, les journaux locaux tardent à annoncer la nouvelle… Dans l’édition du 13 juillet, L’Avenir du Perche promet encore en première page « de grandes courses de toros avec les plus célèbres matadors et caballeros d’Espagne » avant qu’un entrefilet du même numéro en page deux précise que « les courses de taureaux qui devaient être organisées par L’Union Commerciale les 13 et 14 juillet ne pourront avoir lieu ».

Tolérance ou désobéissance ?

Plus curieux encore, dans son compte-rendu des festivités du 14 juillet, L’Avenir du Perche décrit avec enthousiasme une cavalcade et des courses aux couleurs ibériques : « À 3 heures, à l’entrée de la corrida, présentation de la célèbre cuadrilla Gui é Ri… la musique joue l’air de Carmen et la course commence tout émaillée de mimiques cocasses, de calembours, de volteras bizarres. Sous les banderoles rouges et jaunes, la plaza a bien l’allure espagnole. Une mise à mort à chaque course (ce qu’ils doivent être jaloux à Melun)[5] ».

« Viva, Bravo toro ! …. »Extrait de l’article de L’Avenir du Perche daté du 20 juillet 1930.

Fanfaronnade d’échotier piqué par l’interdiction préfectorale ? S’il y eut un défilé et des démonstrations – ce qui reste à prouver car je n’ai pas pu croiser l’information –  , de mise à mort, il ne pouvait être question sauf à envisager un simulacre avec une épée de bois…

Histoire du passé, questions actuelles.

Notes

[1] Le dossier sur cette affaire est conservé aux Archives départementales d’Eure-et-Loir, cote 4 MP 424.

[2] Immensément riche, artiste, sportive émérite, féministe, exploratrice intrépide, mondaine… Elle préside la SPA de 1929 à sa mort en 1942. Elle milita activement pour l’adoption du pistolet automatique dans les abattoirs parisiens sans balle pour une mort immédiate et moins douloureuse.

[3] L’Écho de Paris, 30 mai 1930.

[4] Vingt-cinq d’entre eux sont conduits au poste.

[5] L’Avenir du Perche, 20 juillet 1930.