« Rouges » contre « fascistes »
Dans les années 1930, les oppositions politiques s’étaient fortement exacerbées en France. Ainsi, dans la deuxième circonscription d’Eure-et-Loir, la campagne électorale des élections législatives de 1936 fut ponctuée par des incidents entre les militants des partis de droite et ceux du Front Populaire. Parmi eux, Georges Cochon.
Né à Chartres, ancienne figure du syndicalisme parisien retiré à Pierres, personnage fantasque, ce défenseur des sans-logis, surnommé « président des sans pognon », fut le maitre d’œuvre des joyeux chahuts contre Royneau, le candidat des modérés. Cultivateur, maire d’Ollé, il était soupçonné de consanguinité avec la ligue des Croix de Feu du colonel de La Rocque, favorable à un régime autoritaire.
Un chômeur injurié par le candidat « fasciste » ?
Le premier coup d’éclat eut lieu à Gallardon le 17 avril. « Le candidat fasciste Royneau, rapporte L’Humanité, y développait sans beaucoup de succès, un discours démagogique ». Un père de famille l’interrompit, lui posa une question concrète. Voici le verbatim de ce court échange tel qu’il a été rapporté par trois journaux, favorables au Front Populaire et donc hostiles au candidat « fasciste », L’Indépendant d’Eure-et-Loir, L’ Œuvre et l’Humanité.
« — Je suis chômeur, père de sept enfants, qu’est-ce que je vais leur donner à manger ?
— Si tu n’as pas de pain, tu leur donneras de la m…, répondit M. Royneau.
A l’indignation, qui se manifestait dans la salle contre une aussi grossière réponse, M. Royneau, perdant tout contrôle de lui-même, ajouta cette injure épouvantable :
— D’ailleurs sur tes sept enfants, il y en a bien quatre qui ne sont pas de toi ! »
L’affront lavé par les « Rouges »
L’injure scandalisa. Le lendemain, Royneau, qui démentit les propos, devait parler à Maintenon. Georges Cochon entreprit de laver l’affront. Avant son arrivée, il avait installé sur la tribune la femme de l’électeur dont la moralité avait été mise en cause. Lorsque Royneau parut, Cochon conta « l’exploit du candidat fasciste » devant l’assemblée et, si l’on suit L’Œuvre, « ce dégoûtant personnage dut fuir sous les huées des sept-cents personnes présentes ». Qui mirent la main à la poche : une collecte organisée pour les sept petits enfants rapporta 163 francs.
Epernon, « Rouges contre fascistes » : drapeau rouge et uniforme nazi
Deuxième étape, Épernon. À peine Royneau était-il monté sur la tribune que le candidat – si l’on suit La Dépêche d’Eure-et-Loir très marquée à droite – était sifflé et conspué par des « agitateurs » aux sons des trompettes cependant que des communistes, qui l’avaient rejoint, brandissaient derrière son dos un drapeau rouge et que d’autres apparaissaient affublés d’uniformes nazis pour dénoncer la dérive des partis conservateurs. Royneau refusa tout net de parler avec ce décorum à ses côtés.
Une heure de négociation fut nécessaire pour arriver à un accord – le drapeau rouge aurait droit de cité dans la salle, mais resterait au pied de l’estrade. Quelques secondes suffirent pour l’anéantir… Royneau allait s’exprimer quand des « éléments incontrôlés » récupérèrent l’étendard, le hissèrent en tribune en braillant l’Internationale à ses oreilles… La réunion fut ajournée.
Nouveau tintamarre à Auneau
À Auneau, dernière étape de cette campagne en forme de calvaire, Royneau affronta un nouveau tintamarre organisé, selon la Dépêche d’Eure-et-Loir, par « la horde du Front Populaire venue d’Épernon, de Maintenon et de Gas ». Pancartes brandies, candidat hué, estrade investie et drapeaux rouges déployés… Au bout de deux heures, la séance est levée dans le chaos. Les esprits étaient si échauffés que les responsables du Front Populaire, Georges Cochon en tête, offrirent leur protection à leur adversaire au moment où il s’extirpait de la salle. Celui-ci déclina avec hauteur : « Je n ‘ai que faire de vos hommes. Je sortirai par la grande porte, seul et sans protection d’aucune sorte. A plus forte raison celle de vos amis ». Il ironisa, enfin, sur « le bonheur que réservait le Front Populaire s’il arrivait au pouvoir ». Qui advint.
Victoire du Front Populaire, « fascistes écrasés »
Arrivé en deuxième position au premier tour, Royneau fut battu à plate couture au second tour par Triballet, candidat du Front Populaire[1]. Lequel, comme on sait, remporta les élections législatives. « La réaction et le fascisme sont écrasés », applaudit L’indépendant d’Eure-et-Loir, organe de Maurice Violette.
Il est des réunions politiques qui se tinrent dans le respect de la parole, sans outrances verbales dont le lecteur aura remarqué qu’elles ne sont pas nées au XXIe siècle. La seconde circonscription d’Eure-et-Loir se démarqua des autres. Aux mots malheureux attribués à Royneau, à ses accointances avec l’extrême-droite s’ajoutèrent les esclandres orchestrés par Georges Cochon, l’inventeur du « raffut de Saint-Polycarpe » du temps où il œuvrait à Paris en faveur des sans-logis. La tension entre les deux camps se manifesta aussi ailleurs, en Bretagne par exemple.
[1] Très populaire, Henri Triballet, appelé « Monsieur Henri », est le mieux élu des députés du département lors de chaque scrutin. Il intervient essentiellement sur les questions agricoles et pour la défense du petit commerce, étant vice-président puis président de la Commission d’agriculture. Dans ses souvenirs, Ephraïm Grenadou (1897-1993) en parle ainsi : on était tribalétistes. Notre député, Henri Tribalet, un gars extraordinaire, venait du côté d’Illiers. On lui écrivait, on lui demandait, il répondait. Il était fidèle avec nous, comme nous sommes là tous les deux. Quant Triballet passait aux élections, on partait à Chartres dans nos autos et on lui faisait un triomphe sur nos épaules »