1948, Londres : les jeux olympiques en or du chartrain Bernard Chevallier

Le chartrain Bernard Chevallier[1] a 36 ans lorsqu’il met les pieds à Londres au début du mois d’août pour les Jeux Olympiques de 1948,  ouverts le 29 juillet. Cet officier, cavalier émérite, membre de l’équipe de France d’équitation, est l’un des 285 sportifs de la délégation française, la plus importante en nombre après celle du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Premiers jeux Olympiques depuis 1936

Cinquante-neuf états, dont vingt-quatre d’Europe, participent à ces premiers jeux d’après-guerre dont l’Allemagne, le Japon et l’URSS sont absents. Des jeux amputés, donc, de nations majeures et critiqués par une partie de l’opinion anglaise qui juge inacceptable ce fardeau dans une ville encore marquée par les bombardements allemands. Aucune installation sportive ne fut d’ailleurs construite pour ces Jeux.

La flamme Olympique et sur le panneau, la devise de Pierre de Coubertin. Daily Herald Archive, in galerie du National Media Museum. DR.

Epreuves d’équitation : mauvais départ des français

Prévues du 9 au 14 août et clôturant le programme, les épreuves d’équitation commencent par une hécatombe dans le camp français. Les espoirs reposent sur les éperons du cavalier chartrain, seul rescapé français de la compétition après les chutes de ses camarades. Or, comble de malchance, son cheval « Mars » avec lequel il avait gagné sa sélection préolympique est blessé. Bernard Chevallier doit se rabattre sur « Aiglonne », une merveille « anglo-arabe », produit de l’élevage tarbais, mais qu’il connait peu. Lourd handicap car l’osmose entre le cavalier et sa monture est capitale pour l’attribution des points. C’est au camp d’entrainement d’Aldershot, à dix kilomètres de Wembley, que l’homme et le pur-sang s’apprivoisent avant trois rudes journées de compétition.

Avant les épreuves. https://www.geneastar.org/celebrite/chevallierb/bernard-chevallier.

Le parcours sans faute de Chevallier et d’Aiglonne

La première est consacrée au dressage.  L’objectif est de montrer la souplesse du cheval, son équilibre et sa docilité ainsi que sa complicité avec le cavalier. Chevallier arrache la sixième place. L’épreuve de fond, la plus redoutée, est au programme de la deuxième journée. Faite pour évaluer le degré d’endurance du cheval et la capacité du cavalier à adapter son train aux conditions d’exercice, elle se déroule sur un trajet accidenté de 33,5 kilomètres comptant routes et sentiers, mais aussi 3 500 mètres de steeple ponctués de quatorze obstacles et 8 kilomètres de crosscountry jalonnés de haies, de fossés, d’entrées de ferme, de ruisseaux et de barrières[2].

Bernard Chevallier. https://gw.geneanet.org/jhivert1. DR.

L’incroyable sans-faute du Chartrain lui vaut non seulement la première place, mais aussi l’octroi de bonifications pour l’excellence de son parcours. Bernard Chevallier fait désormais figure de favori.

Le sacre de Chevallier

La dernière journée a pour cadre « l’Empire Stadium » de Wembley. Les quarante-six concurrents doivent cette fois déployer tout leur talent au saut d’obstacle sur un parcours de 1 100 m à effectuer à raison de 400 mètres à la minute.

Petite distance, mais qui requiert technique et maitrise, surtout au lendemain d’un gros effort.  Bernard Chevallier est impérial, à tel point que son second – le colonel américain Henry – , lui donne spontanément après l’épreuve une poignée de main admirative.

C’est à Wembley devant 80 000 personnes que l’enfant de Chartres reçoit sa médaille olympique, la dixième de la délégation tricolore, celle qui offrait à la France la troisième place des Jeux – chipée de justesse aux Hongrois – après les Etats-Unis et la Suède. Si l’évènement est célébré dans la presse nationale, il n’est pas en une, mais dans les pages sportives où il doit se frayer une petite place entre les articles consacrés au titre olympique du sprinter Beyaert à la médaille d’argent des basketteurs français contre l’équipe des Etats-Unis. Tout de même, le médaillé d’or reçoit du ministre de l’Éducation nationale, Yvon Delbos, un télégramme de félicitations.

Bernard Chevallier reçoit sa médaille. La Nouvelle République, 12 août 2016.

Le champion olympique à Chartres : l’interview de L’Écho Républicain

À peine était-il de retour auprès de ses parents, rue Petit-Beauvais, que L’Écho Républicain sonnait à la porte pour interviewer le héros, un homme « petit, musclé, le regard franc et clair[3] ».

– Ses meilleurs souvenirs ? Sa médaille d’or, la Marseillaise, le drapeau tricolore…  Mais il évoque aussi « l’exubérance des Suédois » et la démonstration de lasso – hors compétition…- des Mexicains, vraiment « époustouflante ».

–  L’accueil anglais a-t-il été agréable ?

 – Nous étions logés, les 46 concurrents représentant 15 nations, à l’école de Sandhurst qui est le Saint-Cyr anglais[4]. Dès l’arrivée une magnifique et pittoresque parade militaire fut organisée en notre honneur ».

L’école militaire de Standhurst, « le Saint Cyr » anglais. https://www.istockphoto.com/fr/photos/sandhurst.DR.

Et le régime alimentaire ? s’inquiète le journaliste.

– Correct. Mais nous étions certainement, si j’en crois les bruits des autres représentations, ceux qui avions le moins de raison de nous plaindre.

1948 : Des Jeux Olympiques d’été à des années lumières de ceux d’aujourd’hui…

Bernard Chevallier n’en dit pas plus. Chacun a compris que dans une Angleterre encore soumise au rationnement, les conditions matérielles ont été spartiates. Les athlètes furent logés dans des écoles ou des baraques militaires et quelques équipes apportèrent même de la nourriture afin de pallier d’éventuels problèmes de ravitaillement. Mais pour les chevaux, ajoute le champion olympique, « rien ne laissait à désirer dans leur installation ».

Construction des bâtiments du village olympique. Le minimum. Des chambres collectives. Daily Herald Archive, in galerie du National Media Museum. DR.

L’Écho Républicain n’a qu’un regret : Bernard Chevallier n’a pas reçu des autorités les honneurs qui lui étaient dus. Parti seul de Londres, il a débarqué seul à Paris avant d’arriver anonyme dans la cité carnute ou aucun hommage particulier ne lui fut rendu.

Bernard Chevallier est décédé le 6 avril 1997 à Orsennes dans l’Indre. Il avait 84 ans. Jusqu’à ce jour, il est le seul eurélien à avoir remporté une médaille d’or aux Jeux Olympiques.

Note

[1] Son père est André Chevallier, directeur des assurances mutuelles, et sa mère Blanche Boivin.

[2] « On appréciera la qualité des chevaux qui ont accompli l’épreuve de bout en bout. La surprise aura été pour les cavaliers qui s’attendaient à parcourir les vertes prairies de la campagne anglaise et qui auront trouvé à leur place des kilomètres de terrain difficile et accidenté », écrit Le Monde le 16 aout 1948. Informations extraites également de L’Echo Républicain du 15 août 1948.

[3] L’Echo Républicain, 18 août 1948.

[4] Ce sont les derniers Jeux équestres réservés aux officiers. L’école de Sandhurst est située à une dizaine de kilomètres du centre de Londres.