21 avril 1901-28 mars 1910, Corancez, Brierre. l’affaire criminelle la plus médiatisée en France avant les années 20.

Affaire criminelle hors norme par sa médiatisation

Affaire criminelle la plus médiatisée de l’histoire de France avant les années 1920 – celles de Landru et Seznec – le quintuple assassinat de Corancez eut un retentissement international. Ce petit village, planté à cinq kilomètres de Chartres, s’inséra dans les colonnes du New-York Times, de l’Auckland Star Néozélandais ou encore de l’Observer anglais. C’est que, exceptionnel par le crime, l’affaire Brierre le fut aussi par sa durée – près de dix ans – et par le mystère qui entoura la culpabilité et la personnalité du coupable présumé.

affaire Brierre

Article du New-York Times, 23 juin 1901. DR.

 Quintuple assassinat dans la nuit du 21 avril 1901

Dans la nuit du 21 avril 1901, des habitants de Corancez sont réveillés par des cris. Bonnet de nuit sur la tête, ils découvrent Brierre allongé sur la route, le visage en sang. Dans un râle, il dit qu’on a tenté de l’assassiner. Du moins est-il vivant, mais les enfants ? Les voisins se ruent dans la maison toute proche. Vision d’horreur, sang à terre, éclats de cervelle sur les murs. La femme Baron en ressort en criant « Tout est mort, tout est tué ». Très vite, le juge d’instruction établit que les enfants Brierre ont été tués d’un coup de coutre, pièce métallique de l’avant d’une charrue. Seule Germaine la cadette, alors apprentie chez sa tante à Paris, a échappé au massacre.

Brierre ( à l’arrière plan avec la casquette)  sa trépigneuse et ses journaliers. L’Illustration, 11 mai 1901. DR.

Le père inculpé

À la stupeur générale, c’est Brierre,  entrepreneur de battage, paysan, père et veuf sans histoire, qui est inculpé le surlendemain : les instruments du crime, ses vêtements tachés de sang sont retrouvés dans sa ferme et son alibi apparait peu crédible. On découvre ensuite que ce paysan modèle avait des revenus en baisse, des dettes et une maîtresse. Au fil des semaines, le village qui, au début, parlait en sa faveur témoigne désormais à charge et l’accable de mille défauts – sournois, hautain, infidèle – mais reconnaissent qu’il était un bon père.

Brierre a réponse à tout, récuse en bloc les accusations et crie au complot, ourdi par ses ennemis du village. En décembre, le procès fait sensation. Plus de cinquante journalistes sont présents, la petite salle de trois cent places ne peut satisfaire les six mille demandes…

Brierre devant le jury portant les vêtements ensanglantés. L’illustration, 28 décembre 1901. Collection personnelle. DR.

Chartres, décembre 1901 : Procès sous tension 

Que retenir des débats ? le président est partial, le procureur implacable, l’avocat dépassé, l’accusé inébranlable dans ses dénégations, enfin un dernier témoin qui émeut, Germaine Brierre, 14 ans.

Convaincue de l’innocence de son père, elle implore le président, tombe à genoux : « Je demande qu’on me rende mon papa, il était bon pour nous, il nous aimait bien. » La scène provoque une intense émotion, arrachant même des larmes aux vieux routiers de la cour d’assise.

Germaine Brierre implorant les juges. L’Illustration, 28 décembre 1901. Collection personnelle. DR.

 Mais en trente-cinq minutes, le jury vote la mort à l’unanimité bien qu’il n’y ait pas d’aveu, pas de preuve irréfutable, pas de témoin direct et pas de mobile.

Brierre gracié, en route vers la Guyane

C’est pourquoi des voix s’élèvent – dont celle de la Ligue des droits de l’homme – pour réclamer sa grâce. Que le président de la République accorde le 1er février 1902, suscitant l’ire des antidreyfusards pour qui la grâce de Brierre, comme celle accordée à Dreyfus en 1899, est une atteinte à l’autorité de la justice, donc de l’État. Brierre est envoyé à l’île de Ré en février 1902 avant de gagner le bagne de Guyane.

Arrivée de Brierre à l’ïle de Ré, antichambre du bagne. Carte postale, collection personnelle. DR.

Il est envoyé sur l’île Royale où est parquée la fine fleur des criminels. Car les évasions y sont impossibles en raison des requins qui patrouillent en permanence.

Brierre, un forçat atypique

Brierre est un forçat atypique qui ne fraye pas avec les autres. Ils sont étrangers à son monde ainsi qu’il l’écrit à sa fille : « c’est terrible, un homme comme moi qui a toujours vécu et travaillé honnêtement, obligé de vivre avec un entourage comme ça[1]. »  Sa conduite exemplaire lui vaut d’être affecté à l’infirmerie du petit hôpital où l’ancien paysan fait merveille.

Brierre à droite et Manda, l’amant de Casque d’or, à gauche. Tous deux sont « préparateurs en pharmacie ». Photographie du docteur Collin, 1908. Avec autorisation de Philippe Collin.

Son combat pour la révision du procès

Appuyé par ses supérieurs, il entame avec une extraordinaire constance le combat pour la reconnaissance de son innocence.

Le Petit Parisien, 8 février 1909.

Soutenu par sa fille Germaine et à partir de 1909 par une campagne de presse orchestrée par Le Petit Parisien et le Matin (1,5 million d’exemplaires par jour…), il s’accroche à l’espoir d’un nouveau procès bien qu’aucun élément nouveau ne vienne remettre en cause les charges du premier. Il meurt en mars 1910 avant que ne survienne un ultime rebondissement et, par conséquent, un nouvel emballement médiatique, en France et à l’étranger[2].

[1] La Presse, 17 avril 1902, lettre à sa fille

[2] A ce propos, Alain Denizet, L’Affaire Brierre, un crime insensé à la Belle Epoque, La Bisquine 2015.