Propriétaire du domaine du Jonchet depuis le début des années 1950, l’architecte Fernand Pouillon avait englouti deux millions dans la restauration du château, pièce maitresse de cette propriété de quatre-vingt hectares. Toitures, murailles, fossés et pont-levis avaient été refaits dans le style initial de cette demeure Louis XIII. Il y donnait des fêtes fastueuses où se pressait le beau monde. Mais ce nouvel élu de la commune soignait aussi sa popularité locale. Le 14 juillet 1960, le domaine avait été illuminé par un feu d’artifice resté dans les mémoires.
Le château du Jonchet à vendre
Mais l’argent qui coulait à flot était le produit d’opérations frauduleuses que le brillant architecte avait manigancées alors qu’il était à la tête du Comptoir National du Logement[1]. Si bien que Fernand Pouillon était depuis le 5 mars 1961, avec quatre de ses collaborateurs écroués, accusés de faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux[2]. La propriété fut mise en vente, les scellés posés. Ils furent levés le dimanche 26 mars pour trois éventuels acheteurs, membres émérites de la jet-set internationale.
Arturo Lopez, André Dubonnet ….Onassis et La Callas sur les rangs.
André Dubonnet, ancien pilote automobile, inventeur de génie et petit-fils de l’inventeur du vermouth, Arturo Lopez, collectionneur chilien et surtout Aristote Onassis et Maria Callas, amants depuis 1959 et dont la liaison défrayait régulièrement la chronique. Les deux premiers visiteurs passèrent inaperçus, mais l’apparition des deux dernières vedettes suscita mouvements pimentés et propos homériques.
Paparazzi à l’affût et noms d’oiseaux…
Si le couple avait déjeuné en toute discrétion à l’hôtel Saint-Louis de Châteaudun, sa venue à Romilly avait fuité. Elle attira au château une foule de curieux et une meute de journalistes. Dès la descente de la Jaguar, les échanges furent électriques. On évita l’empoignade de peu. Allait-il acheter ? « Foutez-moi la paix », leur répondit l’armateur, ulcéré que dans la bousculade son beau veston ait été troué par la cigarette d’un reporter. « Et la Callas, allait-elle sortir ? – Non, répliqua-t-il. – Qu’on aille chercher la Tebaldi ! », l’apostropha un paparazzi. Au nom de sa rivale, la diva explosa – : « Allez-vous en au diable ! Je ne suis quand même pas une comédienne ! » – et jeta le miroir de son poudrier au visage de l’insolent cependant qu’Onassis tentait de briser son appareil, se moquant : « Attention ! Il y a les syndicats. »
La leçon de morale d’Onassis aux paparazzi
Tandis que La Callas visitait avec la propriétaire les appartements particuliers et les deux grandes salles de réception, Onassis continuait à croiser le fer avec les paparazzis dans la cour : « Faites un autre métier, croyez-moi. Il y a des façons plus honnêtes de gagner sa vie[3] ». Une leçon de morale de l’armateur, inventeur des pavillons de complaisance dans les années « trente[4] », mais surtout détenteur d’une des plus grosses flottes de pétroliers du monde, milliardaire qui côtoyait les plus grands. À l’heure où il parcourait le parc du domaine, Winston Churchill était en croisière à bord de son yacht, le Christina[5].
Un petit tour et puis s’en vont
À 16 heures 30, les scellés étaient à nouveau posés sur les portes…Un petit tour et puis s’en vont. La Callas ne fit jamais ses vocalises au Jonchet et Onassis n’y donna aucune des réceptions qui faisait sa réputation. Acquis en 1962 par un industriel parisien, le château devint en 1976 la propriété du couturier Hubert de Givenchy. Son histoire d’amour avec la propriété dura jusqu’à son décès en 2018. Du Jonchet, il disait « qu’il était bâti comme une robe de haute couture. »
Le lien entre la propriété et La Callas est tenu, mais il existe : c’est Riccardo Tisci, directeur artistique de la maison Givenchy qui dessina les costumes de l’opéra « Seven Deaths of Maria Callas » imaginés par l’artiste Marina Abramović.
Notes
[1] Pouillon, qui avait échoué de peu à emporter la mairie en 1959, fut condamné en juillet 1963 à 4 ans de prison.
[2] Il a réalisé de nombreux équipements et bâtiments publics à Marseille, Aix-en-Provence, en région parisienne, en Algérie ainsi qu’en Iran. Ses réalisations se caractérisent par une insertion dans le site, un équilibre des masses né de proportions harmoniques rigoureuses, des matériaux nobles – y compris dans le logement social – et la collaboration d’artistes sculpteurs, céramistes, paysagistes. Radié à vie par l’ordre des architectes
[3] La république du Centre, 28 mars 1961.
[4] Ses cargos étaient immatriculés au Panama.
[5] Le Monde 29 mars 1961.