1943, Spirito, roi de la pègre à Chérisy ?

 

Roi du trafic d’opium

Incarnés à l’écran par Delon et Belmondo dans Borsalino, Spirito et Carbone avaient été les rois du trafic d’opium pendant l’entre-deux guerres. Condamné à mort pour collaboration, Spirito s’était fait oublier aux États-Unis dont il avait été expulsé en février 1954 à l’issue de deux années de prison – incorrigible, il avait plongé dans le deal d’héroïne…  Réceptionné par les pandores au Havre, il doit désormais répondre de ses trois condamnations par contumace[1]. Le 10 juillet 1954, la première l’amène devant la cour d’assise de Chartres pour un vol à main armée à Chérisy remontant à onze ans et qui lui avait coûté lors d’un premier procès dont il était absent – Amérique oblige – vingt ans de bagne.

En 1943, rencontre avec le fromager de Chérisy

Voici les faits : le 2 août 1943, vers 11 heures 45, deux autos s’arrêtent devant la maison du fromager Rivet située au Petit-Chérisy. Deux allemands et quatre policiers débarquent, armés jusqu’aux dents et, exhibant leurs cartes, font savoir qu’ils ont reçu l’ordre de perquisitionner son domicile qui leur a été dénoncé comme abritant des opérations douteuses. Ils inspectent la maison de fond en comble, interrogent Rivet et son entourage. Puis, alors que les deux allemands s’éclipsent, les policiers, l’estomac creux, se font offrir le repas par leur hôte. Et profitent de cette pause pour lui exposer le problème : de graves infractions ont été relevées contre lui – marché noir, aide aux réfractaires du STO – des poursuites allaient être engagées, la Gestapo serait informée. Bref, la prison n’était pas loin.

Chantage à 600 000 francs

Le Petit Chérisy. Source : Perche-Gouët.net.

Cependant, ils pouvaient classer le dossier moyennant 600 000 francs. Le fromager, après négociation, parvint à écrémer l’addition : 400 000 francs feraient l’affaire. Flanqué de deux policiers, Rivet retira à la banque ses économies. A 18 heures 30, les deux allemands étaient de retour à bord non d’une auto, mais d’un camion plus adapté… à la saisie de son stock d’essence et de lubrifiant.

Huit jours après cette drôle de visite, Rivet porta plainte, réalisant qu’il avait été mystifié par des pseudo-policiers qui lui avaient barboté en prime quelques louis d’or et des bijoux. Comme un voisin avait relevé l’immatriculation des véhicules, l’inspecteur de police remonta jusqu’à eux. C’étaient deux parisiens, répondant au nom de Manuelli et Ricord. Leur soubrette souffla aux enquêteurs le nom d’un troisième complice, un gros poisson de la pègre Marseillaise : Spirito.

Spirito devant la cour d’assises de Chartres

François Spirito au temps de sa gloire. Le Matin, 30 septembre 1934. DR.

Le fromager l’identifia sur une photographie que lui présenta la PJ. La police était sur le point d’appréhender tout ce beau monde, mais la Gestapo, qui voulait protéger ses agents français, s’interposa et mit un couvercle sur l’enquête. Elle reprit après-guerre et se conclut en octobre 1951 par un procès aux assises de Chartres au terme duquel, Manuelli, Ricord et Spirito écopèrent respectivement de dix-sept et vingt ans de travaux forcés[2]. Tandis qu’ils goûtaient illico à l’incarcération, Spirito, était libre comme l’air aux Etats-Unis.  Il en fut, nous l’avons vu, expulsé en février 1954. Enfin, ce 10 juillet 1954 à Chartres, le troisième larron de l’affaire du fromager de Chérisy pouvait être jugé en chair et en os.

L’ Echo Républicain, juillet 1951.

Impeccablement habillé d’un complet bleu marine, tout sourire, allure « un peu épiscopale » – c’est le mot du président -, Spirito décline son identité : cinquante-quatre ans, commerçant, marié, père de deux enfants. En homme honnête, il réfute toute participation à l’équipée de Chérisy, alignant deux arguments imparables. « Je n’étais pas à Chérisy, monsieur le président. Et pourquoi y serais-je allé ? J’avais des revenus de bookmaker. Je possédais à l’époque 10 à 12 millions. Croyez-vous que je serais allé faire cela pour 400 000 francs qu’il aurait fallu partager ? « . Au président qui demande à l’ancien propriétaire de bars : « vous fréquentiez le milieu de Marseille », Spirito botte par l’ironie : « Dans un bar, on fréquente forcément des gens de tous les milieux… ». Surtout, l’accusation s’effondra car, confrontés au caïd de pied en cap, le fromager et les autres témoins – intimidés ? –  ne reconnurent plus en Spirito l’un des hommes du 3 août 1943. Onze ans s’étaient écoulés…

L’accusation s’effondre

L’ Echo Républicain, juillet 1951.

Le commerçant de Chérisy se désista alors de sa constitution de partie civile, l’accusation abandonna la partie, la défense renonça à plaider et le jury le blanchit. Spirito traversa avec le même bonheur les deux autres procès, le premier pour chantage, le second pour collaboration. Il « se rangea des voitures » et mourut à Toulon en 1967.

[1] Pour chantage à Paris, pour le vol à main armée à Chérisy et pour fait de collaboration à Marseille (aide au recrutement de la LVF, Légion Volontaires Français).

[2] Le quatrième faux policier ne fut jamais identifié.

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