Dépose à risque des vitraux, Cathédrale de Chartres 17 juillet 1918.
Fallait-il déposer les vitraux de la cathédrale ? La question était pertinente eu égard aux menaces de bombardement et au danger éventuel d’une explosion de poudres stockées dans l’usine Lefort de Lucé, spécialisée dans le chargement des grenades. Alertés par la Société archéologique d’Eure-et-Loir[1], les Monuments Historiques donnèrent leur blanc-seing à l’opération en mai 1918.
Elle suscita de la défiance – soustraire les vitraux à un péril hypothétique, n’était-ce pas les exposer au risque certain d’une dépose précipitée ? – et des rumeurs – ne murmurait-on pas que des vitraux prendraient la route de l’Allemagne ou de l’Amérique… En fait, un seul incident fut enregistré le 17 juillet.
Une maladresse entraina la chute du panneau de l’arbre de Jessé qui représentait la Vierge. Solidité du verre et du sertissage ou miracle… Seul un tiers dudit panneau dut être refait à neuf.
Les craintes de la vénérable société archéologique étaient fondées : les points d’impact des treize bombes qui frappèrent Chartres le 15 août étaient à quelques centaines de mètres des plus belles verrières du monde… La dépose s’acheva en même temps que la guerre, en novembre 1918. Ce n’est qu’en 1924 que sous la responsabilité des ateliers Lorin, Bonnot et Gaudin, la cathédrale retrouva la totalité de ses habits de lumière.
Premier bombardement, Chartres, nuit du 15 août.
En mars, lors de leur dernier raid sur Paris, des gothas avaient dispersé des papillons sur lesquels était écrit qu’entre le 20 et le 25 mars la cathédrale de Chartres serait bombardée. Rien n’était venu troubler la quiétude printanière de la ville. Encore des bruits infondés. Mais dans la nuit du 15 août, à minuit, « heure du crime », titra Le Progrès, les Chartrains furent tirés du lit par une succession de six détonations précédées de fusées éclairantes.
On crut à un orage soudain. C’était un gotha allemand. Détaché d’une escadrille qui survolait la région parisienne, il avait plus loin poussé ses ailes. Les treize bombes larguées à trois-cents mètres d’altitude tombèrent dans le centre-ville. Le commissaire de police établit « le bilan de cette excursion d’avion boche ».
Des morts, des blessés, des ruines
Trois personnes avaient été tuées, deux soldats qui passaient la nuit rue Chanzy ainsi que la demoiselle Lequint. Précipitée parmi les décombres du troisième étage à la cave où la torpille explosa, elle fut retrouvée « littéralement hachée, les intestins hors du corps ». Cinq blessés graves furent hospitalisés.
Les dégâts matériels étaient conséquents, notamment rue Chanzy, rue de la Volaille, des Rouliers et de la Tannerie : maisons éventrées, magasins dévastés (telle la bijouterie Vergaede devant laquelle le commissaire jugea pertinent de poster des policiers), vitres brisées alentours, en particulier chez le maître verrier Lorin.
Chartres en deuil
Les obsèques des victimes se déroulèrent le 20 août en présence des autorités militaires, civiles et religieuses. Le préfet fit un discours dans lequel il fustigea une attaque lâche sur des civils en pleine nuit. « Demain, conclut-il, le droit sera restauré, le crime sera châtié.» La ville entière était en deuil, de nombreux magasins – La Maison Verte, Les Nouvelles Galeries ou Le Palais du Vêtement – avaient fermé leurs portes. C’était le premier bombardement aérien subi par la préfecture d’Eure-et-Loir.
Notes
[1] SAEL, n°120, p. 17. La dépose dura cinq mois. Elle fut mise à profit pour pour restaurer les vitraux.