Connu pour ses actions d’éclat comme éclaireur de l’armée nordiste lors de la guerre de de Sécession, comme chasseur de bisons et ardent défenseur du Far West contre les indiens, le colonel W. F Cody, dit Buffalo Bill[1], soucieux à la fois d’entretenir sa légende et de faire des affaires, avait créé en 1883 le Wild West Show.
Mars-mai 1905 : Buffalo Bill à Paris, succès phénoménal
Après une apparition remarquée à l’Exposition universelle de 1889, le héros de la conquête de l’Ouest installe au printemps 1905 son campement à Paris sur le Champ-de-Mars dans le cadre d’une tournée européenne, commencée à Londres trois ans plus tôt. Plus fort, plus grand : le mot d’ordre est le gigantisme. La logistique du Wild West Show, calquée sur le modèle du Barnum and Bailey Circus, déploie une publicité omniprésente. Elle fait la part belle à Buffalo Bill. A presque 60 ans, grand, élancé, il est immédiatement indentifiable avec son stetson, sa chevelure argentée et sa célèbre barbichette.
C’est un succès phénoménal : en deux mois, le show a attiré 3 millions de visiteurs. La tournée française prévoit 117 villes selon une règle simple – une ville, une journée – que Chartres est la première à inaugurer le 5 juin. Buffalo Bill à Chartres ! Depuis deux semaines, le spectacle a été annoncé en dernière page de tous les journaux du département et par des affiches géantes convoyées par wagon.
5 juin 1905 : Buffalo Bill et le Wild West show à Chartres
Le jour dit, les 59 wagons du Wild West Show sont à quai dès le petit matin. Le débarquement rapide et bien ordonné du matériel – « excellente leçon de chose pour notre administration militaire » – fait l’admiration du Journal de Chartres.
Levés aux aurores, les Chartrains regardent l’incroyable défilé qui s’étire de la gare aux Grands-Prés : charriots innombrables, 500 chevaux et 800 hommes – tous de véritables combattants – Indiens coiffés de plume, Mexicains, Cosaques, Japonais ou encore chasseurs français… C’est le spectacle avant le spectacle.
Une installation rapide
Arrivée aux Grands-Prés, telle une ruche bourdonnante, la troupe s’active. Le Journal de Chartres est bluffé par l’organisation. En deux heures, tout est prêt. « Impossible d’imaginer le déchargement extraordinairement rapide de ce matériel colossal et la stupéfiante installation de cette cité. » Les chiffres donnent le tournis. 1 200 pieux sont plantés[2], 4 000 mâts dressés ; 30 000 mètres de cordage utilisés, 8 000 sièges installés. Une série d’immenses tentes, destinées aux spectateurs, ceinturent un terre-plein central réservé aux numéros. Dans le même temps, flairant l’aubaine, les marchands de boisson, de frittes et de victuailles se sont disposés au plus près du Wild West Show.
Que le spectacle commence !
À 14 heures, le spectacle commence. À tout seigneur, tout honneur. Buffalo Bill entre en piste, salue la foule, passe ses hommes en revue. Puis, les numéros s’enchaînent. Le public frémit en voyant l’attaque des diligences menée par le chef Sioux « Pluie dans la figure » et le transport risqué du courrier par les « Pony express[3] ». Il s’enthousiaste pour Buffalo Bill qui, au galop, fait mouche sur des coquillages et des assiettes jetés en l’air et admire l’adresse des lanceurs de lasso mexicain, les acrobaties des Cosaques ainsi que les manœuvres de guerre des troupe impériales japonaises. Car si le thème majeur est la conquête de l’ouest, le show brasse des hommes de tous les continents.
Mais chacun attend ce qui a été annoncé comme le clou du spectacle : la reconstitution du retranchement de Custer à la bataille de Little big Horn en 1876. Elle met en scène cent « vrais » indiens qui participèrent à cette victoire, Sioux et Cheyenne. « Ils revivent ainsi, note Le Journal, ce farouche épisode d’une guerre de races[4]». Entre temps, les Indiens avaient été vaincus, massacrés, déportés et parqués.
Les vertus patriotiques et éducatives du show
La loi Berteaux qui instituait un service militaire de deux ans venait d’être adoptée. Le commentaire du Journal prêtant au show des vertus morales parait s’adresser aux futurs soldats : « On se grisera de l’odeur pénétrante de la poudre, cette odeur qu’affectionnent les héros et les braves […] Vaillance, force, souple courage, voilà ce que l’on verra chez Buffalo ». Le Journal de Chartres applaudit. « Le spectacle fait de force, de vitesse, de vertige, de couleur et d’élans fous […] est d’un grand intérêt éducatif » C’est un « fabuleux voyage à travers le monde [..]qui délasse des baraques foraines et des entrées de clowns et des tours de piste[5]. »
Buffalo Bill à Chartres : bye, bye !
Toutefois, il émet deux critiques qui concerne la représentation du soir : l’éclairage a été un brin défectueux et surtout des numéros ont été écourtés. C’est que, passé 22 heures, Buffalo Bill plie bagage pour faire le show à Alençon. Le démontage est aussi rapide que l’installation ; les Grands-Prés sont déserts à minuit. La tournée française s’achève à Marseille en novembre. Le Wild West Show repart en mars 1906 en Italie, puis retrouve ses quartiers aux Etats-Unis.
En quatre ans, le show a séduit les chartrains comme des millions d’européens. Démonstration de force, d’efficacité au service du mythe américain, il est l’expression de la puissance montante des Etats-Unis au moment où l’Europe s’enlise dans des tensions internes, bientôt mortifères. Si le Wild West Show connut des déboires après 1910, la relève de la légende de l’ouest fut assurée par le cinéma, autre instrument de la domination culturelle des Etats-Unis.
Notes
[1] « Bill » vient du prénom William et « Buffalo » peut se traduire par tueur de buffles.
[2] Chiffres cités par le journal La France, 31 mars 1905.
[3] Avant l’invention du chemin de fer.
[4] Le Journal, 1er avril 1905.
[5] Journal de Chartres, 6 juin 1905
En savoir plus : Alain Loison, Les grands évènements d’Eure-et-Loir ed. de Borée, 2014, p 30.