Aujourd’hui, une chronique dans laquelle l’historien Gérard Leray présente « Charles Porte, le flic de Jean Moulin »
Charles Henri Porte est né le 24 novembre 1906 à Villeurbanne. Ses parents, de modeste condition, s’installent dans les Bouches-du-Rhône quand il est encore enfant. En 1929, il intègre la police de Marseille comme simple gardien de la paix. Il travaille d’arrache-pied à sa promotion professionnelle : inspecteur puis commissaire au concours de 1937.
Rencontre déterminante avec Jean Moulin
Après Langres, Versailles et Orly, Porte est muté à Chartres en juillet 1939 où il fait la connaissance du préfet Jean Moulin. Une relation d’amitié se noue entre les deux hommes que renforcent la débâcle et la défaite. En novembre, Philippe Pétain révoque le préfet Moulin à cause de ses compromissions avec l’ancienne République. Charles Porte exprime à son mentor sa volonté de l’accompagner dans la disgrâce. Moulin l’en dissuade : il doit demeurer en poste et jouer un double jeu.
Chartres, 15 mars 1942 : un attentat aux lourdes conséquences
Un attentat insignifiant commis le 15 mars 1942 par des résistants communistes contre la librairie militaire allemande de Chartres cause sa perte. Porte est mis sous pression par le préfet collaborationniste Pierre Le Baube : s’il ne parvient pas à arrêter promptement les coupables, l’intervention de policiers parisiens, spécialisés dans la lutte antiterroriste, sera sollicitée. Le commissaire, qui redoute que le noyau de résistance gaulliste qu’il a commencé à mettre en place soit démasqué, se résout à faire du zèle. Il appréhende neuf communistes et obtient leurs aveux. Or, courant avril, un autre attentat contre l’armée d’occupation, sanglant celui-là, se produit en région parisienne. En représailles, des otages doivent être exécutés. Font partie du lot quatre hommes arrêtés par Charles Porte.
Le 30 avril, Brousse, Allart, Cormier et Maugé sont fusillés à Lèves. Ce même jour, Porte, officiellement en congé auprès de sa famille à Marseille, rencontre Jean Moulin, de retour de Londres. Qu’importe, pour la résistance communiste, Porte est devenu un traître, l’homme à abattre.
Charles Porte alias « Henri », au service de Jean Moulin
Parallèlement, son caractère difficile irrite de plus en plus Le Baube et Raymond Gilbert, le maire de Chartres, complaisant avec l’occupant. En outre, Charles Porte se sait surveillé par Lorenz Kreuzer, le chef de la SIPO-SD, le service de sûreté allemand. Il aggrave son cas en participant le 23 mars 1943 à la réception du premier parachutage en Eure-et-Loir, à Meslay-le-Grenet, d’agents, d’armes et de matériels en provenance d’Angleterre, aux côtés d’André Gagnon, responsable régional du BOA.
Le 11 mai 1943, quand il est convoqué par Kreuzer, son instinct lui commande de s’échapper vers Paris. Devenu clandestin, évoluant de planque en planque, Porte, alias « Henri », se met au service de l’ancien préfet d’Eure-et-Loir. Le 27 mai, le commissaire, révoqué de la veille par Vichy, assure la protection de la première réunion du Conseil national de la Résistance, rue du Four à Paris, sous la présidence de « Max » Jean Moulin.
Missionné à Caluire par le CNR après l’arrestation de Moulin
Le 21 juin 1943, « Max » et sept cadres de la Résistance sont arrêtés à Caluire. Les autres responsables du CNR ordonnent à « Henri » de se rendre à Lyon pour faire la lumière sur la rafle et tenter de délivrer le patron du CNR des griffes de Klaus Barbie. Le 27 juillet, « Henri » rédige un rapport dans lequel il rend compte amèrement de l’échec de sa mission d’exfiltration. C’est encore lui qui, le 25 août, à la requête du CNR, se déplace à Solignac, en Limousin, pour y interroger René Hardy. Le responsable de la résistance ferroviaire de l’Armée secrète, fugitif miraculé de l’affaire de Caluire, est soupçonné d’avoir trahi. Dans un second rapport, « Henri » exprime ses doutes sur les explications fournies par le suspect.
Echec d’un attentat contre l’occupant à Paris et déportation
De retour à Paris, « Henri » Porte se rapproche du réseau Honneur de la police. Il constitue un groupe d’action destiné à combattre la police allemande et ses supplétifs français. Le 28 décembre 1943, Porte et cinq compagnons se retrouvent à la brasserie Le Zimmer, place Châtelet, pour régler les derniers détails de l’attentat qu’ils ont programmé de commettre le lendemain contre le siège de la Gestapo française, rue Lauriston. Ils tombent dans un guet-apens à cause d’une trahison.
Charles Porte survit à la torture. En mars 1944, il est transféré de Fresnes au camp de Royallieu-Compiègne, puis déporté outre-Rhin fin avril. Il échoue successivement dans les camps de concentration d’Auschwitz, Buchenwald, Halberstadt et Langenstein.
Pourquoi Porte est-il contraint à la clandestinité après la Libération ?
Dans la France libérée, sans qu’il le sache, Charles Porte se voit reprocher d’avoir fait preuve « d’une grande activité dans la répression des menées patriotiques » pendant l’Occupation. Son cas est examiné par la commission d’épuration du ministère de l’Intérieur, mais celle-ci diffère son avis eu égard à sa situation de déporté.
Porte est délivré par l’armée américaine le 11 avril 1945. Rapatrié en région parisienne, il se prépare à rejoindre sa famille à Marseille quand il repère un commando communiste chargé de l’exécuter en représailles de l’affaire de Lèves. Porte s’échappe et retourne à la clandestinité. Dans la foulée, sur plainte du CDL d’Eure-et-Loir, noyauté par le Parti communiste, un juge d’instruction chartrain inculpe l’ex-commissaire pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État et délivre un mandat d’arrêt contre lui.
La réhabilitation de Charles Porte, « flic de Jean Moulin »
L’ex-policier en fuite organise sa défense. Il recueille le soutien d’amis de l’ombre, dont Laure Moulin, sœur de « Max ». Impossible pour Porte de trouver refuge dans sa famille marseillaise sous surveillance. Aigri et se sentant en sursis face aux tueurs, il s’abstient de venir témoigner au procès de René Hardy devant la cour de justice de la Seine en janvier 1947.
Ce n’est qu’en février 1951 qu’il apprend la décision du 30 septembre 1949 du parquet de la cour de justice de la Seine de le blanchir de toutes les accusations portées contre lui. Il obtient sa réintégration dans la police, est affecté à Melun comme commissaire divisionnaire, où il continue à subir les foudres du PCF qui n’accepte pas sa réhabilitation.
En 1961, Charles Porte prend sa retraite par anticipation et s’installe en Provence. Il s’éteint le 29 mai 1982 à Fréjus.
Sources : Gérard Leray, Charles Porte, le flic de Jean Moulin, éditions Ella, 2015.