En un an, la ménagerie de Justin Pezon avait sillonné les routes du Mâconnais et du Pas-de-Calais, avant de poser ses bagages dans les pays de la Loire au début de l’été 1875. Après un mois passé à Chartres et Orléans, Pezon entendait rallier Châteaudun où, début juillet, se tenait la foire aux laines. Là comme ailleurs, moyennant un droit d’entrée, enfermé dans la cage avec ses « bêtes féroces » le dompteur ferait passer le souffle du frisson[1].
La dynastie des Pezon
Fils d’un colporteur de Lozère, ancien berger, Justin, suivant l’exemple de ses ainés, s’était extrait de la misère en exhibant des animaux sauvages. En 1875, son frère Baptiste jouissait déjà d’une solide réputation puisqu’il était engagé à Paris pour quarante jours au Châtelet. Reconnaissance suprême, le sculpteur Bartholdi s’inspirait de son lion Brutus pour façonner la statue du lion de Belfort[2]. On le disait riche de 150 000 francs[3].
La prospérité de la ménagerie Pezon
Si Justin Pezon n’avait encore ni la notoriété ni l’aisance de son frère, il était propriétaire des sept voitures où étaient encagés ses animaux et de plusieurs roulottes de bagages et de matériel sans compter la sienne, la seule à être aménagée avec le confort d’une vraie maison. Selon sa femme, les « affaires prospéraient et mon mari n’avait pas besoin d’argent[4] ». Mais comme le couple était illettré, il leur fallait un commis pour la tenue des comptes et les demandes d’installation aux autorités des villes. Pezon avait ainsi engagé à l’automne 1874 le nommé Mousset dont l’instruction se doublait d’une force herculéenne[5]. Très vite, il s’était rendu indispensable.
Pezon, miné par la jalousie
Mousset fréquenta la roulotte familiale. Trop souvent au goût de Pezon. Dans les visites de son commis, il vit surtout un prétexte pour faire les yeux doux à sa femme, une « plantureuse nature[6] ». Pezon en conçut une jalousie obsessionnelle. En mars 1875, alors que la ménagerie était à Béthune, il fit mine de partir pour Paris, mais revint une demi-heure après… Il trouva Mousset dans sa voiture conversant avec son épouse. Benoitement, le commis dit qu’il venait chercher un seau d’eau… L’épouse reçut une floppée d’injures et Mousset fut congédié sur-le-champ. Avant – nécessité oblige – d’être de retour dès le lendemain. De ce jour, Pezon alterna longs moments de silence où il ruminait son infortune et emportements subits dont la violence était décuplée par la boisson. Là, il cassait le premier objet qui lui passait sous la main, cherchait querelle au monde entier.
Assassinat à la ménagerie Pezon
Le 26 juin 1875, le trajet vers Châteaudun avait été émaillé de nombreux arrêts avinés dans les cabarets. Le soir, la ménagerie fit halte à Tournoisis. On soupa, on éclusa encore des litres. Puis le convoi s’ébranla vers 21 heures. La voiture de Pezon transportant sa femme et ses trois enfants fermait la marche.
Soudain, elle stoppa, menaça de verser. Très éméché et surexcité, Pezon brisait son mobilier et battait sa femme comme plâtre. Quand elle cria « à l’assassin ! », les hommes accoururent, Mousset le premier, avec son couteau en main. Pezon hurlait : « Si je tenais ton maquereau, je l’étranglerai ». Alors que son commis s’approchait de la roulotte, il sauta sur lui et le renversa. Encore troublés par l’alcool, les autres s’éloignèrent sans tenter de les séparer. C’était une bagarre de plus. Mais en se retournant, un employé vit Mousset prendre le dessus et « travailler du couteau ». On entendit un cri de détresse. Touché au bras gauche, au rein et à la poitrine, Pezon se traina jusqu’à sa roulotte. Il y expira devant son épouse. Les funérailles eurent lieu le mardi suivant en présence de ses frères et de confrères qui, selon L’Écho Dunois « avaient beaucoup d’estime pour lui[7] ».
La fable de Mousset
Mousset raconta aux gendarmes une histoire à dormir debout. Montrant ses blessures, il raconta que Pezon s’était jeté sur lui avec un couteau et que sentant la partie perdue, il avait retourné la lame contre lui en disant : « Je veux me tuer ». L’enquête démontra que si Pezon savait à l’occasion distribuer quelques horions, il ne jouait jamais du couteau. Surtout, le médecin-expert établit que Mousset s’était infligé lui-même ses blessures. Le commis fut arrêté à Châteaudun et passa aux aveux.
Le procès fut couvert par la presse nationale – « le dompteur assassiné était le frère du dompteur si connu à Paris », écrit Le Siècle[8]. L’ancien commis impressionna. « Le front haut, la moustache relevée en croc, vêtu d’un costume étrange avec un vieux justaucorps marron garni de fourrures et de bottes à l’écuyère[9] », il portait aussi l’avant-bras droit un tatouage avec un petit tonneau surmonté d’une fleur. Condamné à huit ans de travaux forcés, il accueillit le verdict sans broncher.
Que devint la ménagerie Pezon ?
La femme Pezon prit la direction de la ménagerie à la mort de son mari. Nous n’en savons pas plus. En revanche, le destin de deux de leurs enfants est bien documenté. La carrière de dompteur de Louis s’arrêta net le 31 juillet 1891. Il était, ce jour, condamné par la cour d’assise de la Seine à la déportation en Guyane pour avoir suriné son beau-frère au motif qu’il avait tué son chien.
Sa sœur Jeanne dirigea la ménagerie de feu son père et s’associa un temps avec son cousin Adrien Pezon, le fils de Baptiste. Belluaire renommée, elle fut l’une des rares dompteuses de son époque – avec La Goulue – à avoir des affiches et des cartes postales à son nom.
Notes
[1] Les places les plus chères étaient celles les plus proches des rugissements.
[2] Commencée en 1875, la statue fut achevée en 1880.
[3] Le Rappel, 2 juillet 1875. On prétendit qu’il mourut millionnaire. Mais il vécut jusqu’à la fin de sa vie, en 1897 dans une roulotte. Ce fin psychologue prônait des méthodes de dressage fondées sur la douceur.
[4] Archives départementales d’Eure-et-Loir, 2 U 2 520.
[5] Nourri, logé, il était payé 20 francs par mois et doublait ses revenus avec ses bénéfices. Le Journal de Chartres, 26 aout 1875.
[6] Le Soir, 28 aout 1875.
[7] Cité par le Journal de Chartres, 4 juillet 1875.
[8] Le Siècle, 1er juillet 1875.
[9] Le Figaro, 27 août 1875.
En savoir plus :
Dompteurs Lozériens, Marius Gibelin.
Une épopée de légende, Jean-Baptiste Pezon, Nathalie Deux, 88 pages. Books on demand.
http://www.landrucimetieres.fr/spip/spip.php?article5693 ( sur la généalogie des Pezon)
http://www.amilo.net/page606.htm ( beaucoup de photographies)