Acte II 13 juillet 1788 : Orage apocalyptique et Révolution.

« Il y en a beaucoup qui languissent dans une espèce de famine et il y a tout à craindre de l’extrémité où les pauvres sont réduits »

Cet extrait du rapport des autorités de Chartres le 22 juin 1789  pose clairement la question. Le terrible orage du 13 juillet 1788  ne porte-il pas en germe des conséquences politiques majeure ?

Des pertes colossales

La catastrophe s’inscrit dans une séquence difficile pour la France, marquée par un budget en fort déficit et déjà par la cherté des grains. C’est sur ce terreau que s’ajoutent les pertes dues à la catastrophe climatique, estimées à 25 millions de livres, soit 5% du budget[1]. Mais comme certaines paroisses « n’ont pas cru devoir se plaindre » et que les dommages liés aux bâtiments, aux jardins et aux bois n’ont pas été comptabilisés, le chiffre réel avoisine les 10%. C’est beaucoup pour des finances déjà malmenées par la guerre d’indépendance américaine.

Philippe Buache, l’auteur du rapport chiffré communiqué au Roi. Portrait de Julien Léopold Boilly (1796-1874). DR.

Aider : de la loterie royale aux « questes » de l’évêque…

Alors, comment aider les provinces « greslées » sans augmenter les impôts ? Dans un arrêt en son conseil d’État, daté du 26 juillet, Louis XVI décida de leur affecter le produit des douze millions de la loterie royale[2].  Au niveau local, dès le 28 juillet, le chapitre de Chartres, grand propriétaire foncier, accorde à ses fermiers 60 muids[3] de blé et 30 muids d’avoine pour semence, une remise pour le paiement des fermages et une avance de 26 000 livres.

Mgr de Lubersac, évêque de Chartres. Portrait en la cathédrale de Tréguier. DR.

Quant à l’évêque de Chartres, Mgr de Lubersac, il ordonne par un mandement en septembre une « queste pour secourir les infortunés habitants » de son diocèse[4] : elle rapporte 44 000 livres. A la fois beaucoup et bien peu au regard des pertes enregistrées : 20 000 livres pour Montainville, 80 000 pour Gault-Saint-Denis et même 200 000 pour Umpeau[5].

Les bourgeois de Chartres à la cour de Versailles

De son côté, dès le 15 juillet, le corps municipal de Chartres décidait d’envoyer à Versailles trois émissaires munis d’un mémoire et de quatre lettres destinées au « principal ministre », au contrôleur général, à l’intendant et au chancelier du duc d’Orléans, possesseur du duché de Chartres[6]. On y faisait état des destructions dans l’élection de Chartres dues au « fatal ouragan » Les solliciteurs furent bien accueillis à la Cour et le duc d’Orléans promit un secours de 12 000 livres dont la publicité fut opportunément assurée par un avis des affiches chartraines.

Le Duc d’Orléans par Antoine-François Callet. DR.

L’avertissement au roi : « Tous les excès, tous les crimes sont voisins du désespoir »

Dans le placet adressé au roi, les bourgeois chartrains avaient lié leur demande de « secours prompts » au climat très tendu, levain selon eux d’une révolte imminente. Comme si l’orage de 1788 avait électrisé les rapports entre petits et grands : les « paysans avertissaient-ils, « se liguent entre eux et arrêtent ou que les propriétaires [bourgeois, clergé et nobles] reprendront leurs baux ou qu’ils leur donneront les moyens de cultiver. Tout est à redouter dans cette occurrence fâcheuse. Tous les excès, tous les crimes sont voisins du désespoir »

 « Nous vous le présentons [ le rapport] avec la plus vive douleur. Il y en a et il y en a beaucoup qui sont hors d’état d’atteindre ses hauts prix actuels des blés et qui languissent dans une espèce de famine et il y a tout à craindre de l’extrémité où les pauvres sont réduits » Extrait du rapport du juin 1789 des autorités du département. Archives départementales d’Eure-et-Loir, C 11. DR.

C’est pourquoi, « pour les prévenir », ils imploraient du roi « sa bonté paternelle », promesse d’une paix sociale retrouvée – sauvegardée ? – : « Ils vous béniront et reviendront à la vie[7] ».

L’orage du 13 juillet 1788 dans les cahiers de doléances

Huit mois plus tard, en mars 1789, les villageois faisaient entendre leurs doléances, consignées dans les cahiers du même nom. Présents dans toutes les mémoires, l’orage du 13 juillet, nommément cité dans nombre de paroisses, vaut argument pour un allégement de la fiscalité.

Dessin de Jacqueline Clavreul. DR. http://grhl.fr/2020/11/la-redaction-des-cahiers-de-doleances-avril-1789.html

Ainsi, les habitants de Meslay-le-Vidame mettent « sous les yeux du roi l’état déplorable de cette paroisse qui a essuyé deux ouragans le 13 juillet 1787 et le 13 juillet 1788. En conséquence, ils sollicitent la remise des impositions de 1787 et 1788 », ceux de Fresnay-le-Comte[8]  attendent du souverain un geste supplémentaire : une « modération sur les tailles pour les années subséquentes[9] ».

L’orage de 1788, cause de la Révolution ?

Au printemps 1789, en campagne comme en ville, la situation alimentaire est catastrophique. Le grain est rare, il est cher, son prix bondit. Des émeutes frumentaires éclatent au printemps à l’approche de la soudure. Aussi, très tôt, on fit de l’orage de1788 une cause majeure de la Révolution française. « La disette qui suivit cet orage devint l’un des plus grands ressorts de la Révolution », explique le Petit moniteur universel le 24 mai 1870 ; un demi-siècle plus tard, les très sérieuses Annales politiques et littéraires, sans nier les « causes politiques et sociales » de la Révolution, en expliquent le déclenchement par deux « évènements météorologiques qui portèrent à son comble la misère du peuple français, l’orage à grêle du 13 juillet 1788 et l’hiver d’un rigueur inouïe[10] ».

La charge des impôts doit être supportée par tous : tires-état, clergé et noblesse. Revendication des cahiers de doléances.

Réponse à nuancer

Le Roy Ladurie, historien du climat, relativise leur importance, estimant que « sa date, un an et un jour avant la prise de la Bastille, a frappé l’imaginaire collectif. » Si la grêle de 1788 « parachève le désastre des grains », elle « ne saurait rendre compte, à elle seule, de l’ampleur du déficit céréalier de cette année-là ». La cause fondamentale du manque des grains, antérieur à la grêle, est dû à l’épisode d’échaudage qui a racorni partout la moisson de 1788. Bref, le ferment du mécontentement qui était lui aussi partout fut accentué par l’orage dont les grondements se prolongèrent jusqu’en juillet 1789.  A la Bastille.

Notes

[1] Rapport des membres de l’Académie des sciences sur demande de Louis XVI (Tessier (1741-1837), Jean-Nicolas Buache (1741-1825) et Jean-Baptiste Le Roy (1720-1800).

[2] Le 30 juin 1776, Louis XVI avait fondé l’ancêtre de notre actuelle loterie : la Loterie Royale, épaulée par 700 buralistes et des colporteurs qui, deux fois par mois, « vendent de la chance ». Elle rapporte 11 millions de livres en 1789.

[3] Le muid est une unité de mesure. A Châteaudun, le muid de blé équivaut à 11,52 hectolitres (12 setiers et 8 boisseaux).

[4] MBP 1863

[5]L’orage de 1788, Abbé Sainsot, in Mémoires SAEL, 1895 -1900 tome xii, Chartres, imp. Garnier 1901 p. 144 et 148.

[6] L’orage de 1788, Abbé Sainsot, in Mémoires SAEL, p 159 et 160.

[7]  L’orage de 1788, Abbé Sainsot, in Mémoires SAEL, p. 161 et 162.

[8] Cahiers de doléances Eure-et-Loir 2, Denis Jeanson éditeur, Meslay-le-Vidame, assemblée du 22 février 1789, p. 321 Art 16, AD 28 B 67 ; Fresnay-le-Comte, assemblée du 22 février 1788, p.193, article 13.AD 28 B 66.

[9] Impôt royal perçu sur les paysans.

[10]Annales politiques et littéraires, 4 septembre 1921, Article de Charles Nordmann, astronome à l’observatoire de Paris. Même écho dans Le Siècle du 24 décembre 1907. La cause déterminante de la Révolution, « ce fut la grêle du 13 juillet 1788, qui ravagea les moissons et engendra en 1789 une espèce de famine ».