Quand une femme voulait mettre un terme à sa grossesse, il lui fallait recourir aux services des faiseuses d’anges. C’est ainsi que l’on appelait ces femmes qui pratiquaient l’avortement, considéré au regard du Code pénal de 1810 comme un crime passible de la cour d’assises. La particularité de cette affaire est que la faiseuse d’anges est un homme, un « faiseur d’anges ».
Découverte d’instruments suspects
Des bruits persistants et des lettres anonymes qui arrivent au Parquet de Dreux désignent Desforges, ouvrier peigneur de Sorel-Moussel comme « expert en manœuvres abortives ». En décembre 1901, le sujet, surtout connu pour braconner, est interrogé par la police, mais faute de charges suffisantes, il est remis en liberté…. Le jour de Noël, il s’enfuit en Suisse où il est arrêté le 10 février 1902. A son domicile qui est perquisitionné, le juge d’instruction découvre des instruments plus que suspects : deux tubes lubrifiés en forme de spéculum contenant des mucosités, deux tiges en fer pointues dont l’une recourbée, des ciseaux, des seringues en fer et en verre, de la ouate ainsi que des « filaments de coton ensanglanté ». Le médecin légiste et le pharmacien qui les examinent rédigent un rapport sans appel : ces instruments abortifs sont des pièces à conviction.
Les herbes abortives du « faiseur d’ange »
Jugé en assises le 4 août 1902, Desforges doit répondre de plusieurs avortements – d’autres ont peut-être été tus -, mais ne reconnait sa participation qu’au premier où, affirme-t-il, son rôle a été indirect. À une épouse désespérée qui menaçait de se suicider, il avait fourni les ingrédients – une herbe abortive (la rue panachée), une poudre blanche – qu’il s’était procurés auprès d’un complice, décédé depuis et déjà condamné à quatre ans de prison pour les mêmes faits.
Desorges indique au juge d’instruction le modus operandi prescrit à sa cliente : préparer une infusion « avec la rue panachée, y mettre une pincée de poudre blanche et prendre le produit ainsi préparé en injection avec une petite seringue ». La femme avorta. Seule et sans l’assentiment de son mari à qui elle avoua les faits quatre ans après l’avortement. Traumatisée par l’acte et atteinte « d’aliénation mentale », selon les mots du procureur, elle dût être internée à l’asile de Bonneval.
Quatre ans de prison pour le faiseur d’ange
En revanche, il nie son implication pour les autres cas où, cette fois, on le soupçonne d’être à la manœuvre chez lui. Les témoins sont pourtant formels. Une femme raconte que pour dix francs, avec l’accord de son mari, elle avait subi une intervention. Mais celle-ci s’était soldée par un échec.
Le « faiseur d’ange » invoqua des calomnies, de vieilles rancunes liées à des histoires de chasse et de pêche. Déclaré coupable d’au moins deux avortements, Desforges fut envoyé pour quatre ans en prison. La peine était lourde eu égard à l’indulgence habituelle des jurys : les deux-tiers des faiseuses d’anges avaient été acquittées entre 1880 à 1910. Quoi qu’il en soit, cette affaire – une parmi tant d’autres – révèle la situation difficile et parfois mortifère faite aux femmes dont la grossesse n’était pas désirée.
En savoir plus : Histoire de l’avortement (XIXe-XXe siècle) de Catherine Valenti et Jean-yves Le Naour, Ed du Seuil, Univers Historique, 2003.