Le 9 juin 1836, Le journal Le Glaneur, drapé de noir, remise son anticléricalisme. La cathédrale de Chartres transcende les antagonismes : « Quelques heures ont suffi pour que le plus beau monument du Moyen Age… soit en grande partie réduit en poussière[1] ».
Quand l’incendie se déclare à la cathédrale
Cinq jours plus tôt, à 18 heures 20, le tocsin de la cathédrale sonne l’alerte. On bat la générale. Mais quand les secours arrivent, le feu, vif comme l’éclair, a déjà atteint la partie de la toiture qui forme l’encoignure de la porte du nord ; une épaisse fumée enveloppe l’abside. En vingt minutes, la charpente en bois de châtaigner, vieille de huit siècles, est envahie par les flammes…. Aux cinq pompes de Chartres – seulement – viennent s’adjoindre dans la soirée celles des communes voisines[2]. Trop peu, trop tard.
Cathédrale en feu, moyens dérisoires
Des manœuvres désespérées sont tentées sur la galerie extérieure sous l’autorité du préfet Delessert[3]. Le tuyau d’une pompe est hissé sur la galerie supérieure. Moyen dérisoire… Un sapeur se porte volontaire pour approcher au plus près la déferlante rouge. Il escalade le long du grand pignon de l’église, puis devant la foule épouvantée, marche vers les combles en feu, puis redescend in extremis. Fournaise, flammèches, coulées de plomb : le danger gagne aussi la galerie.
Embrasement général de la toiture
Le préfet ordonne l’évacuation et, capitaine du vaisseau embrasé, il est le dernier à quitter son poste, au péril de sa vie. Bientôt, les cloches libérées de leurs charpentes calcinées s’abattent avec fracas. Elles tintèrent, écrit Le Glaneur, « des heures durant au milieu des flammes qui les environnaient. On crut entendre les derniers soupirs de ce magnifique monument[4]. » Il fallait se résoudre à l’évidence : l’immense forêt de bois qui soutenait la toiture en plomb était perdue, des tournoiements rougeoyants vomissaient des clochers. Le carnage illumina la ville pendant des heures.
Protéger la ville, sauver les trésors
Les autorités reportèrent leurs efforts sur la basse-ville menacée par une pluie de flammèches et de charbons ardents poussés par le vent. Des baquets furent placés devant les portes, les toitures des maisons furent recouvertes de couvertures mouillées. Dans le même temps, en proie à une confusion indescriptible, les habitants sortaient leurs biens, les empilaient dans les rues adjacentes ou chez des proches.
À 9 heures du matin, le feu était mort. La toiture avait disparu. Cependant, les flèches avaient tenu, les bas-côtés – partant les vitraux – étaient sauvés et surtout la voute avait résisté. Par précaution, les trésors de la cathédrale, les saintes châsses, les vases sacrés, les ornements, les tableaux et la Vierge Noire avaient été mis à l’abri.
Cathédrale en feu : la faute aux plombiers ?
L’enquête fut promptement menée. Les responsables étaient deux plombiers. Chargés de réparer des avaries, ils faisaient des points de soudure à la bande de plomb servant à l’écoulement des eaux de pluie[5] au nord-ouest du transept. Ils allumaient le feu avec du charbon dans le cagnard, une marmite en fonte. En ce jour venteux, des étincelles s’en s’échappèrent et volèrent jusqu’à la forêt de bois…
Envoyé à 16 heures 30 dans les combles pour un travail anodin, l’apprenti aperçut un éclat rougeoyant qui léchait la charpente. Les deux ouvriers voulurent d’abord l’étouffer avec leur broc d’eau… Las ! Il était vide. Ils dévalèrent alors chez le sonneur, remontèrent avec deux seaux. Le feu ne les avait pas attendu. Ils redescendirent à pas redoublés. Quand le sonneur activa le tocsin, il était 18h20. Deux heures avaient été perdues.
Cathédrale en feu : la faute à l’imprévoyance des autorités ?
Un lecteur du Glaneur atténua les responsabilités des plombiers pour mieux pointer celles de la hiérarchie : « Nul fabricien, nul inspecteur n’est là pour surveiller les dangereuses imprévoyances des ouvriers… Autrefois, les hommes de l’art se gardaient bien de s’éloigner d’un pas lorsqu’il s’agissait d’opérations délicates et périlleuses[6] ».
De surcroît, il n’y avait aucun bassin d’eau au niveau supérieur. En 1828, un projet de réservoirs avait été validé, mais rien n’avait suivi. Pire, un inspecteur lui porta le coup de grâce au début des années 1830, en soulignant les embarras : difficultés pour amener l’eau et problème des gelées. D’ailleurs, ajoutait-il, le risque était inexistant car les combles étaient équipés de paratonnerre et personne n’y circulait avec du feu[7]. Personne, sauf le vent.
Restaurer la cathédrale : « Déjà une affaire d’Etat[8] ».
Dès le lendemain de l’incendie, le préfet Delessert et le député chartrain Chasles plaidèrent la cause de la cathédrale auprès du gouvernement.
Le Glaneur ne résista pas à la pique politique : « La Chambre qui vote des millions pour construire un palais sur le quai d’Orsay[9]… ne peut hésiter à voter les fonds pour réparer un édifice qui appartient non seulement à Chartres mais à la France entière ». Ses vœux furent exaucés. Un mois après l’incendie, un projet de loi, adopté par les deux Chambres, fut sanctionné par le roi le 5 juillet 1836, un second suivit en mai 1837. En tout, près de 1,5 million de francs furent alloués au chef d’œuvre gothique.
Reconstruire à l’identique ou… ?
On s’interrogea[10]. Fallait-il le reconstruire à l’identique ou lui préférer d’autres matériaux ? « Il n’y a eu aucun débat sur la charpente. On a immédiatement fait le choix d’un matériau incombustible », répond Juliette Clément[11] : le fer pour la charpente, le cuivre pour la toiture, des matériaux modernes et solides, phares de la révolution industrielle naissante[12]. Il y eut des sceptiques. Victor Hugo, de passage à Chartres en juin 1836 se désola « de ce comble en fer, triste expédient », mais se consola qu’il ne « se verrait pas du dehors ».
Les travaux furent menés avec une célérité inouïe. Les cloches furent reconstruites en 1840 et, dès 1841, le travail de la charpente était achevé, cinq ans après l’incendie. Notre-Dame de Chartres, modèle pour Notre-Dame de Paris ?
Notes
[1] La cathédrale a déjà été victime du feu en 1194 et en 1506.
[2] Illiers, Dammarie, Saint piat, Sours, Jouy, Fontaine, Saint Georges, Saint-Prest, Morancez.
[3] Gabriel Delessert est né à Paris le 17 mars 1786 dans une famille de bourgeois d’affaires et de banquiers. Rallié à Louis-Philippe dès 1830, il fut préfet d’Eure-et-Loir du entre septembre 1834 et juin 1836, puis fut nommé à la Préfecture de police. En 1848, il rejoignit Louis-Philippe dans son exil anglais. Il meurt en 1856 à Passy.
[4] Le Glaneur le 9 juin 1936.
[5] Appelée noue.
[6] Le Glaneur, 9 juin 1836.
[7] AD V 54. Cité par Aperçus sur l’administration préfectorale 1800-1940 SAEL, 2000.
[8] Titre de l’article du Figaro, 15 avril 2021.
[9] Le palais d’Orsay est un bâtiment administratif qui occupa de 1810 à 1898 l’emplacement actuel du musée d’Orsay.
[10] La même problématique fut à l’œuvre pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris
[11] Directrice de publication de la SAEL. Extrait de l’article du Figaro.
[12] Le fer dont la production s’envole a déjà été employé avec succès dans les combles de théâtres, de l’église de la Madeleine ou de la Chambre des députés.