Chartres, 13 mars 1916 : Soldat en guerre, épouse volage. Histoire d’un drame.

Quand la guerre sépare les jeunes mariés

Né à Dinart en 1886, le breton Guilmoto s’était installé à Chartres où il avait trouvé un emploi de conducteur d’automobile dans le garage Juster, installée Place des Epars.

Le garage Juster, place des Epars. Source : https://www.perche-gouet.net/histoire/photos/immeubles/1405/3971.jpg. DR.

Il s’était marié en 1913 avec Gabrielle Polet – dite Gaby -, serveuse au restaurant de l’Écu où il avait ses habitudes. Le ménage coulait des jours heureux dans son coquet logement, au 65 de la rue du Grand-Faubourg quand la guerre les sépara. Mobilisé le 2 août 1914, Guilmoto rejoignit le 2ème régiment d’artillerie lourde à Cherbourg. Gabrielle, restée à Chartres, effectuait des travaux de couture pour le 150eme régiment d’infanterie, lesquels lui rapportait un petit revenu. Insuffisant pour mener la grande vie.

Mari au front, Gaby volage

Car, débarrassée comme d’un carcan, l’épouse que cette liberté subite avait mise en appétit dilapida les économies et trouva bientôt à s’amuser en galante compagnie.

Gabrielle, l’épouse de Guilmoto. Dépêche d’Eure-et-Loir, 11 juin 1916. DR.

Quand Guilmoto revint en permission après huit mois de campagne, il devina ses débordements en découvrant des correspondances « ultra-sentimentales[1] ». Mari aimant, il pardonna les infidélités et invita Gaby à mener une vie sage. Ces pieux conseils n’eurent aucun effet. Faisant fi des cancans, l’épouse volage reprit de plus belle ses batifolages au domicile conjugal avec des militaires de la garnison de Chartres.

Du pardon à la  jalousie incontrôlée

Le 11 mars 1916, deux jours avant le drame, Guilmoto était revenu inopinément de Cherbourg. A minuit, sa femme était encore absente. Soudain, des éclats de rire résonnèrent dans la rue. C’était des galonnés qui raccompagnaient la belle à son domicile.

Guilmoto. Dépêche d’Eure-et-Loir, 11 juin 1916. DR.

A peine Gaby eut-elle franchi le seuil de la chambre que Guilmoto, lui arracha son sac, en extrait une lettre, celle d’un amant, qu’il lit de bout en bout. Le lendemain à 6 heures, le canonnier dut repartir à son dépôt, à Cherbourg. Mais rongé jusqu’au sang, il repartit pour Chartres le surlendemain. Sans aucune considération pour les peines disciplinaires encourues. 

13 mars 1916 : Cinq coups de feu

L’appartement du Grand Faubourg  était vide. Furetant dans un tiroir, il y trouva de nouvelles lettres compromettantes, des photographies. Ivre de colère, Guilmoto brisa le mobilier, lacéra les édredons et le mannequin de couturière. Puis il attendit.

Rue du Grand Faubourg. Coll personnelle. DR.

Sa femme ne réapparut que le lendemain à midi. Tandis qu’elle ouvrait la porte, Guilmoto, caché dans l’escalier, fit feu à cinq reprises. Mortellement blessée, elle rampa jusqu’au lit où le militaire l’acheva à coups de crosse. Son honneur vengé, il se rendit aux gendarmes en ces termes : « Je viens de tuer ma femme, arrêtez-moi.  Ma femme me trompait. Je suis le plus malheureux des hommes »

Le jugement du Conseil de guerre

Le militaire se présenta le 10 juin devant le conseil de guerre du Mans. Tous les témoins le présentèrent comme un garçon sérieux, sobre et économe. Aucun accroc.  Sauf celui – estima le colonel Grossin qui présidait les débats – de n’avoir pas su être le « maître dans son ménage ». Le péché originel, si l’on suit le journaliste de La Dépêche d’Eure-et-Loir, était imputable à l’épouse adultère.  « Voilà à quoi a abouti la frivolité de cette jeune femme qui par l’oubli de ses devoirs a acculé cet homme à l’acte de désespoir qu’il a commis ». 

En une. La dépêche d’Eure-et-Loir,11 juin 1916.

Le tribunal militaire, sans pitié pour les déserteurs, estima que le meurtrier ne méritait que deux ans de prison avec sursis. Soldat au front, soldat trompé ; femme esseulée, femme adultère. C’était aussi la trame du roman de Raymond Radiguet, Le diable au corps, publié en 1923. Il fit scandale en ce qu’il considérait la guerre comme un moment propice à l’éclosion de la liberté amoureuse et sexuelle[2].

Guilmoto, du front à l’amnistie

Quant à Guilmoto, il fut envoyé sur le front. Son registre matricule signale d’excellents états de service : « Très bon chauffeur, brave et dévoué, a assuré les mises en batterie avec courage et sang-froid dans des circonstances souvent difficiles en particulier pendant les mois de septembre et octobre 1918[3] ».

Archives Ille-et-Vilaine. 1 R 2018. DR.

Il nous apprend surtout qu’en vertu de la loi du 24 octobre 1919, il fut amnistié du crime qu’il avait commis. L’amnistie concernait tout aussi bien la mendicité, les bris de scellés, que les coups volontaires et même les homicides à la condition que la peine infligée par le conseil de guerre n’excède pas trois mois d’emprisonnement[4]. C’était le justement le cas de Guilmoto condamné avec sursis.

Les deux lignes rayées concernent sa condamnation. Entre les deux lignes,  un rajout indique l’amnistie due à la loi du 24 octobre 1919. Archives Ille-et-Vilaine. 1 R 2018. DR.

Une fois la guerre finie, Guilmoto revint vivre dans sa ville d’adoption. A un petit kilomètre de l’appartement du 65 de la rue du Grand Faubourg qu’il occupait avant-guerre avec « Gaby ».

[1] La Dépêche d’Eure-et-Loir, 11 juin 1916

[2] Marthe, l’épouse infidèle, trompe son mari au front avec un garçon de 15 ans. Elle meurt à la suite de son accouchement.  La condamnation avec sursis de Guilmoto est tout sauf exceptionnelle. Nombre de procès jugeant les crimes passionnels s’achevaient par l’acquittement ou par une peine avec sursis.

[3] Archives d’Ille-et-Vilaine, 1 R 2018.

[4] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54741452/f801.item.r=AMNISTIE.langFR