Entre Révolution et Empire : au château d’Abondant, les heures tragiques de Mme de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI.

Mme de Tourzel gouvernante des enfants de Louis XVI pendant la Révolution vécut des années au château d’Abondant, près de Dreux. Intime de la famille royale, elle fut aux premières loges des événements qui devaient changer le cours de l’histoire de France.

Mariage brisé, veuve à 37 ans

Née Louise-Élisabeth de Croÿ d’Havré, elle avait épousé en 1764 Louis-François du Bouchet de Sourches, marquis de Tourzel, grand prévôt du roi France[1],  dont le père avait œuvré à la transformation du château d’Abondant entre 1747 et 1750 sous la férule de Jean Mansart de Jouy, petit-fils de Jules Hardouin-Mansart, premier architecte de Louis XIV.

Mme de Tourzel, DR.

Le couple partage son temps entre la Cour et ses propriétés de Sourches dans la Sarthe et d’Abondant en Eure-et-Loir. La vie de Louise-Élisabeth de Tourzel bascule quand le 11 juillet 1786, son époux décède à la suite d’une chute de cheval lors d’une chasse royale à Fontainebleau. La jeune veuve – dont l’austérité détonne à la Cour – se voue à l’éducation de ses cinq enfants.

Le dauphin et Madame Royale confiés « à la vertu »

Trois ans plus tard, la Révolution précipite son destin. La duchesse de Polignac, gouvernante des enfants du roi et amie intime de la reine[2], est contrainte à l’exil deux jours après la prise de la Bastille.

Au Petit Trianon, 1785, Marie-Antoinette, Madame Royale et le Dauphin. tableau d’Adolph Wertmuller,, peintre suédois Nationalmuséeum ( Suède)DR.

Marie-Antoinette se tourne alors vers Mme de Tourzel pour lui confier cette fonction prestigieuse, mais devenue très exposée à laquelle elle ne se dérobe pas : « Le spectacle de l’abandon où beaucoup de ceux qui l’entouraient avait déjà laissé la famille royale l’emporta », écrit sa fille Pauline[3]. La reine aurait eu ce mot : « Madame, j’avais confié mes enfants à l’amitié. Je les confie maintenant à la vertu ». Le Dauphin la surnomma « Madame Sévère ».

« Consacrer ma vie à répondre à la confiance de Leurs Majestés »

Vertu doublée du sens du devoir ultime, jusqu’au sacrifice : de la fin juillet 1789 jusqu’au 19 aout 1792, elle ne quitte pas un seul jour, pas une seule nuit le dauphin – futur Louis XVII – et sa sœur partageant avec eux les moments les plus tragiques. Le 20-21 juin 1791, elle est avec la famille royale dans la berline dont la fuite vers l’Autriche s’arrête piteusement à Varennes[4].

La famille royale arrêtée à Varennes. De gauche à droite, Mme de Tourzel, Louis XVI, Marie-Antoinette et les deux enfants, Mme Elisabeth, sœur du roi, en pleurs. Tableau de Thomas Falcon Marshall, 1854. DR

Elle connait avec les deux enfants les affres de l’emprisonnement dans la Tour du Temple après la prise des Tuileries le 10 août 1792. Miraculée des massacres de septembre[5] [1792], elle trouve un havre de paix avec sa fille Pauline en son château d’Abondant.

Fuir le tumulte révolutionnaire au château d’Abondant

« Au mois de décembre, écrit-elle,  nous allâmes nous établir à Abondant, à une lieue et demie de la petite ville de Dreux. Nous n’étions qu’à dix-neuf lieues de Paris, et il ne fallait que six heures pour y retourner. Nous ne voulions pas nous éloigner davantage des objets de notre continuelle sollicitude[6]. » C’est à Abondant qu’elle apprend « la fin cruelle de notre bon et malheureux roi » qui, selon la sœur de son aumônier, lui dressa des louanges peu de temps avant le couperet de la guillotine : « Elle m’a tout sacrifié, et j’éprouverais une grande consolation si vous pouviez lui faire savoir combien j’ai été sensible à son attachement[7]

Le Dauphin au Temple. Il fut victime de mauvais traitements. Gustave Wappers, 1850, musée des Beaux-arts de Belgique. DR.

Voulant être au plus près de la reine et de ses enfants, elle retourne à Paris où elle est de nouveau arrêtée en mars 1794. Elle doit cette fois son salut à la fin de la Terreur et, dit-elle « à l’intervention du « Ciel [qui] nous sauva comme par miracle des dangers que nous courûmes dans les diverses prisons où nous fûmes conduits[8]. »

Assignée à résidence à Abondant par la Révolution, puis par Napoléon 1er

Une partie du mobilier du grand salon est  au musée du Louvre. C’est le décor où vécut Mme de Tourzel. Photo Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Olivier Ouadah DR. https://art.rmngp.fr/

Figure de l’Ancien Régime honnie par les autorités révolutionnaires, elle est assignée à résidence à Abondant et chaque semaine elle est tenue de se présenter à la municipalité de Bû[9]. Si l’on suit son lointain héritier, « les habitants de la petite commune avaient appris à respecter sa profonde douleur ; ils en vinrent à vénérer celle que la bienfaisance seule pouvait arracher à ses tristes pensées ». Au point de défendre sa propriété. « Un jour que l’orgie révolutionnaire n’était pas terminée, une bande de malfaiteurs voulut abattre les belles futaies du parc qu’ils jugeaient incompatibles avec les principes de l’égalité[10] ». Comme un seul homme, les habitants les auraient chassés. Toujours sous surveillance de la police impériale – au moins jusqu’en 1811 – elle demeura en son château jusqu’à la Restauration.

La vie dans le souvenir d’un monde révolu

Mme de Tourzel. Portrait de Jules Porreau, musée Carnavalet.

Là, absorbée dans ses souvenirs, elle y trouva matière à ses mémoires[11] dans lesquels le dauphin tient une place particulière : « Les larmes me venaient continuellement aux yeux en regardant le portrait de ce cher petit prince, que j’ai toujours porté sur moi depuis le moment de notre séparation[12]. Alors, chaque jour après la messe, elle se rend en pèlerinage auprès du monument funéraire qu’elle avait fait ériger en son souvenir sous les ombrages séculaires de son beau parc[13].

Inhumée à Abondant parmi « ses chers habitants »

Faite duchesse héréditaire de Tourzel par Louis XVIII en 1816, elle mourut à 82 ans en 1832 au château de Groussay à Montfort l’Amaury .

Acte de décès de Mme de Tourzel. Archives départementales des Yvelines, 4 E 1879. DR.

Elle est, à sa demande, inhumée dans l’église Saint-Pierre d’Abondant parmi « ses chers habitants ». Avant qu’en 1903 le Duc des Cars, lointain descendant, indigné de la vente du château à un roturier… – l’industriel Singer – passe outre ses dernières volontés. Mme de Tourzel fit un ultime voyage d’Abondant au château de Sourches, berceau de la famille.

Château d’Abondant, début des années 2000. Il a été depuis restauré et divisé en 54 appartements. DR.

Notes

[1] Cet officier d’épée, dont la juridiction s’étend sur le Louvre ainsi que sur toute la Maison du roi, juge en premier ressort des causes civiles (l’appel était porté au Grand Conseil) et en dernier ressort des causes criminelles et de police qui touchent la Cour.

[2]  La duchesse de Polignac occupe cette fonction à partir de 1782 ce qui choque une partie de la Cour car elle est de basse extraction nobiliaire. Deux jours après la prise de la Bastille, à la demande des souverains, les époux Polignac et leurs enfants quittent Versailles pour la Suisse, puis pour l’Italie.

[3] Sa fille Pauline, comtesse de Béarn in « souvenirs de 40 ans »

[4] Les fuyards portaient des noms d’emprunt. La supercherie s’organisait autour de Mme de Tourzel dite baronne de Korff censée avoir pour enfants le dauphin et sa sœur Marie-Thérèse. Louis XVI était M. Durand, intendant de la baronne de Korff ; la reine Mme Rochet, gouvernante des enfants de Mme de Korff et enfin Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI figurait la dame de compagnie de la baronne.

[5] Contrairement à Mme de Lamballe amie de la reine, avec qui elle était emprisonnée et dont la tête tranchée fut promenée au bout d’une pique.

[6] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, Tome second, Paris, 1884, chapitre xxiv p.304.

[7] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, Tome second, Paris, 1884, chapitre xxiv p.308

[8] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, tome second, Paris, 1884, chapitre xxiv p.310.

[9] Archives des Yvelines, J 3211/3. Monographie d’Abondant en 1900. p. 5..

[10] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, tome premier, Paris, 1884, introduction du duc des Cars, p. xviii.

[11] Mme de Tourzel a laissé ses mémoires «  dans une retraite que lui conseillaient à la fois les circonstances et son impérissable  douleur », écrit le duc des Cars. Introduction, p v.

[12] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, tome second, Paris, 1884, chapitre XXIV

[13] Certains auteurs ont avancé que le monument funéraire avait été érigé à la suite de la visite d’un nommé Hervagant qui s’était présenté comme étant Louis XVII. Il ressemblait tellement à l’« enfant du Temple » et donnait des indications si troublantes que la duchesse aurait fini par le croire. Ses mémoires montrent qu’elle était convaincue de la mort du dauphin de par les témoignages des médecins qui avaient pratiqué l’autopsie et qu’elle avait interrogés.