Ancien professeur de philosophie et de grec au collège Rémi Belleau, à Nogent-le-Rotrou, Jean Héritier était arrêté au début du mois de juin 1945 à Berchtesgaden[1]. Une lettre imprudente de sa femme expédiée en France avait mis la police française sur ses traces. Celles d’une figure de la collaboration eurélienne.
Jean Héritier, hitlérien fanatique
Écrivain royaliste, catholique, antisémite, hitlérien fanatique, Héritier avait fui Nogent-le-Rotrou en août 1944. Il avait rejoint dans leur exil germanique un noyau de collaborateurs gravitant autour d’Alphonse de Châteaubriant[2]. Pendant l’Occupation, il avait été dans la sous-préfecture du Perche un agent zélé de la collaboration, entretenant des contacts étroits avec la Gestapo locale, le préfet Le Baube[3] et avec la fine fleur de la collaboration française, Déat, Luchaire ou encore Rebatet.
Héritier et Komaroff, le maître et le disciple
Cet homme d’influence avait constitué un réseau d’agents qu’il réunissait régulièrement à son domicile. Jacques Komaroff, introduit dans le cénacle par le fils Héritier, était l’un d’eux. Né à Chartres en 1923 d’un père d’origine russe naturalisé, le jeune homme était employé à la mairie de Nogent-le-Rotrou. Non content d’assurer la liaison entre Héritier et Déat, Komaroff communiquait au professeur des renseignements sur des notables, sur des résistants possibles ainsi que l’emplacement de plusieurs maquis percherons.
En phase avec son mentor, il recommandait « leur massacre sans pitié[4] ». Ses informations entraînèrent l’arrestation d’une dizaine de personnes dont aucune, toutefois, ne croupit en prison. Le professeur nogentais affirmait ne rien craindre puisqu’il avait sous le coude « une liste de douze otages s’il lui arrivait malheur ».
Héritier, actif propagandiste
À sa besogne de mouchard, Héritier joignait une activité de propagandiste dans les revues collaborationnistes Je suis partout, Le Pilori ou la Gerbe. De ses articles suintaient le fiel antisémite contracté dés 1913 à la lecture de La Fin d’un monde de Drumont, mais aussi une admiration sans borne de l’ Allemagne nazie.
Ainsi dans Je suis partout du 12 mai 1944, il relativise les « difficultés de l’Allemagne sur le front oriental… au bout de quatre ans et demie de Guerre juive » en considérant celles « infiniment plus graves » que Fréderic II de Prusse surmonta à la fin de la guerre de Sept ans grâce à sa « grandeur d’âme et à son génie », « éléments que l’on retrouve au même degré tragique et sublime chez Adolphe Hitler[5] ». Cet article comme les autres étaient tapés à la machine par le fidèle Komaroff. Ce dernier empocha pour ses services multiples six mille francs, l’équivalent de presque quatre mois de salaire.
9 novembre 1944, Komarrof : le disciple jugé
L’apprenti nazi fut le premier à être jugé le 9 novembre 1944, par la Cour spéciale de justice d’Eure-et-Loir, cinq jours après son installation solennelle[6]. Invoquant l’influence d’Héritier, il tenta de minimiser son rôle. Ses informations, dit-il, « étaient assez vagues, notoirement connues pour la plupart et ne pouvaient entrainer pour les personnes visées aucun conséquence graves ». À ses arguments, le Président opposa ses écrits accablants. Son défenseur invoqua son jeune âge et « les excellents renseignements fournis sur sa moralité »… Mais les jurés suivirent le commissaire du gouvernement qui réclamait la mort[7]. Sa peine fut cependant commuée en travaux forcés à perpétuité.
Héritier, le maître, échappe au procès
Son guide spirituel – qui avait fui à temps – eut plus de chance. Condamné à mort par contumace en 1944, arrêté en 1945, il fut déféré devant le tribunal en 1946. L’épuration était moins rude. Interné à l’asile public d’aliénés de Villejuif en raison de son état physique et moral, il échappa à un second procès. Ses biens furent cependant confisqués[8]. Comme nombre d’intellectuels de son camp, il fit un peu de prison et eut son nom inscrit dans la liste des écrivains indésirables[9]. Jean Héritier est décédé à Versailles le 3 mars 1969. Jacques Komaroff s’est éteint à Cannes le 2 février 2017.
Notes
[1] À ce propos, le témoignage de sa fille rédigé au début des années 1950. Thérèse H. (auteur) et François de Lannoy, 17 août 1944, il est grand temps de faire ses paquets. Ed. Pierre de Taillac, 2015.
[2] En mai 1937, à l’issue d’un voyage en Allemagne, il publie La Gerbe des forces. Hanté par l’athéisme communiste, il regarde le nazisme comme un allié du christianisme. En 1938, il voit en Hitler, un Messie.
[3] Nommé en novembre 1941 en Eure-et-Loir.
[4] Dans un courrier, Komaroff s’indigne de l’exécution par des résistants de Philippe Henriot secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy.
[5] Autre exemple, dans Je suis Partout du 21 juillet 1944, Héritier s’insurge contre les erreurs véhiculées sur l’amitié franco-allemande répandues « au service de la Maçonnerie et de la Juiverie ».
[6] Le jury est formé de vingt personnes tirées au sort, renouvelées chaque mois, « sur une liste de cent personnes du département connues pour leur intégrité et leur patriotisme » L’indépendant d’Eure-et-Loir, 6-7 novembre. Le président Boizard invita les jurés à distinguer différents types de collaborateurs : les faibles qui se sont laissés entrainer, ceux qui ont collaboré pour l’argent, ceux enfin qui se sont livrés à l’ennemi par idéologie.
[7] René Dhuy, de Saint-Georges-sur-Eure est condamné à 10 ans de réclusion par la cour spéciale de justice pour avoir dénoncé son voisin aux allemands parce qu’il avait des armes. L’Écho Républicain, 13-14 novembre 1944.
[8]https://archives28.fr/archives-et-inventaires-en-ligne/inventaires-en-ligne/archives-privees-toutes-periodes/51-j–fonds-jean-heritier
[9] Ses archives personnelles, retrouvées dans les locaux du tribunal d’instance de Nogent-le-Rotrou en 2009, sont classées et consultables aux Archives d’Eure-et-Loir.