Quels sont les fléaux que redoute le paysan ? Chacun pense aux dégâts commis par les animaux nuisibles, aux vols ou encore aux intempéries. Pourtant, le sinistre le plus redouté, c’est le feu, particulièrement en Eure-et-Loir. En 1818, écrit le préfet, « un des fléaux qui désolent ce pays, c’est l’incendie[1] ». Plus de 150 frappent le département chaque année. Quelle en est la cause ? Accident ou acte de « malveillance », autrement dit un crime ?
L’accident : allumettes chimiques et jeux d’enfants
Le 21 août 1842, le préfet adresse un rapport alarmant au ministre de l’Intérieur : « Des incendies ont lieu très fréquemment dans mon département depuis quelque temps, ils sont presque tous causés par l’imprudence des enfants qu’on laisse jouer avec des allumettes chimiques ». Le problème n’est pas encore résolu à la fin du siècle puisqu’en 1893, 18 incendies sur 167 sont imputables à de jeunes enfants.
L’un deux, garçon de cinq ans de Yèvres raconte : « Hier, j’ai trouvé une allumette dans notre maison près du foyer, je l’ai allumée en la frottant sur mon sabot et j’ai mis le feu au tas d’ajoncs. Quand j’ai vu que le feu flambait, j’ai couru le dire à maman[2]. »
Les fumeurs en accusation
Propriétaire soucieux de ses biens, le nommé Delorme fait part de ses préoccupations au préfet en 1818 : « L’usage de la pipe s’est singulièrement propagé dans les campagnes depuis quelques tems et il y a lieu de craindre des suites fâcheuses. Presque tous les domestiques mâles fument aujourd’hui. »
L’un des incendies les plus graves du siècle dévaste la commune de Louville-en-chenard en 1844. Selon le récit du journal Le Glaneur, « c’est à un fumeur qu’il faut, assure-t-on, attribuer ce funeste évènement. Il était occupé à faire des liens dans un bâtiment ayant sa pipe allumée dans sa bouche. Une étincelle s’en est échappée, a mis le feu à la paille, de là au bâtiment et il s’est répandu dans tout le pays[3]. »
Autres négligences
À la liste des imprudents, il convient d’ajouter, ici, un charretier qui « a allumé un feu sur un champ qu’il devait labourer » et qui se propage sur d’autres champs ; là, un domestique qui fait chuter une lanterne sans parler des négligents qui laissent échapper de leur cheminée des étincelles qui ne demandent qu’à porter l’incendie sur les meules voisines.
Enfin, la malchance s’ajoute quand la foudre s’abat sur les bâtiments en chaume[4]. Au total, les incendies accidentels représentent plus de 80% des cas.
Incendies criminels redoutés
Néanmoins, les statistiques indiquent que l’Eure-et-Loir se différencie par la forte proportion des incendies volontaires. Ils constituent au milieu du siècle 8 % des procès à la cour d’assises, deux fois plus que la moyenne française. Et le député chartrain Noël Parfait de conclure : « C’est la vengeance du pays. Au lieu de s’attaquer à la vie de son ennemi, on s’en prend à ses granges ; on ne le tue pas, on le ruine. »
Qui sont ces criminels du feu ? La part des jeunes est élevée, 30% des incendiaires ont moins de 20 ans ce qui est supérieur à leur poids dans la population. En revanche, le fort pourcentage de salariés agricoles – 60% – (journaliers, charretiers, bergers) correspond à peu près à la structure sociale des campagnes. Donnons corps à ces chiffres par trois affaires.
Le berger Hureau, incendiaire multirécidiviste
Le mode opératoire du berger Hureau est toujours le même : profiter de l’absence des maitres et des domestiques appelés loin de leurs fermes pour, par exemple, « participer à des fêtes de village » et mettre le feu « à des points opposés [5] »
L’incendie le plus spectaculaire éclate le 18 mai 1852, à 22 heures à Nogent-le-Phaye chez Rabourdin. Les pertes sont énormes : deux granges, trois bergeries, du matériel agricole, des milliers de bottes de fourrages et cinquante moutons. Hureau n’est pourtant pas inquiété. À cela, trois explications : ses alibis, ses qualités de berger, enfin la peur « qu’inspire à ses maîtres cet homme dangereux ». Le dénoncer, certes, mais s’il était innocenté[6] ? Le berger est arrêté en 1857 après un nouveau crime, Le mobile ? « Il ne faisait que nous parler en mauvais termes de ses maîtres », témoigne un charretier. Des rancœurs accumulées qui aboutissent à la vengeance du petit contre le « gros bonnet ». Hureau est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il meurt au bagne de Cayenne en 1865 [7].
Les trois domestiques de la veuve Couvret
À Viabon, la question des rapports de classe sociale se double de celui des sexes : le maître est ….une maîtresse. Mécontente de leur besogne, la veuve Couvret adresse à ses trois domestiques « des remarques sur leur conduite au cabaret et sur leur paresse » auxquelles ces fortes têtes répondent par « des paroles peu convenables ». Le berger se justifie : « La maîtresse ne nous regarde pas tant que son chien » et le porcher rumine : « Je ne sais pas combien je gagne, la maîtresse m’ayant dit en me prenant chez elle qu’elle me payerait suivant mon travail. »
La tension culmine quand la veuve lui refuse une pièce de crainte qu’elle soit dilapidée au cabaret. Alors, le 20 février1855, ils mettent le feu à l’étable et à la grange. En dehors des indices matériels, les trois domestiques sont confondus par leur comportement aberrant : instruits du feu, ils ont continué leurs agapes au cabaret. La cour d’assises prononce une peine de cinq ans de travaux forcés[8].
Le petit Drouin incendiaire de 12 ans.
L’incendie que petit Drouin déclenche le 20 juillet 1857 chez le cultivateur Ferrière à Bailleau-le-Pin répond à deux considérations. Il les exprime avec ses mots d’enfant : « Je n’avais pas encore vu de près un incendie et je désirais en voir un… je pensais qu’il s’éteindrait tout seul ». À la fascination pour le feu, il ajoute un mobile tout personnel : « Ferrière n’est pas bien avec moi, il ne me répond pas quand je lui dis bonjour[9] ».
Lutter contre les incendies en campagne
Au milieu du siècle, la multiplication des sinistres et l’incitation des pouvoirs publics conduisent les communes rurales à se doter de compagnie de pompiers et de l’équipement idoine : pompes à incendie, seaux, casques et uniformes. Dans le même temps, les plus aisés recourent à l’assurance. Toutefois, son développement a son pendant criminel : l’escroquerie. Autre sujet, autre chronique….
Notes
[1] 4 MP 474 police des incendies. Lettre du préfet, 1818.
[2] Cité par Jean-Claude Farcy, in incendies et incendiaires en Eure et Loir, Revue du XIXe siècle, 1992
[3] Le Glaneur, 15 aout 1844.
[4] Raison pour laquelle les préfets veulent les interdire. Mais cette prescription d’en haut entraîne la seule révoltée rurale connue en Eure-et-Loir en 1854. Le préfet est lui-même est molesté.
[5] AD, 2 U cour d’assises, dossier Hureau, 4e session de 1857. 2 U 2 404. Merci à Jean Charles Leloup pour ses précisions.
[6] les acquittements sont nombreux : au plan national, de 75 % en 1825-1831, ils se maintiennent autour de 40 % dans la seconde moitié du XIXe siècle. Aux assises de Chartres, 41 % des accusés d’incendie sont acquittés sous le Second Empire ». Jean-Claude Farcy, incendies et incendiaires en Eure et Loir dans la Revue du XIXe siècle, 1992.
[7] Jusqu’en 1832, la peine de mort peut sanctionne tous les cas d’incendies. Ensuite, elle est réservée aux cas où la vie des personnes a été mise en danger.
[8] AD, 2 U cour d’assises, dossier Guillin, Haudebourg et Quentin, 2e session de 1855, arrêt du 11 juin 1855.
[9] Archives départementales d’Eure-et-Loir. Série U, cour d’assises. 2 U 2 403.