Aujourd’hui, une chronique dans laquelle Jean-Charles Leloup présente François-André Isambert, figure eurélienne trop peu connue et qui, pourtant, joua un rôle majeur dans l’abolition de l’esclavage.
Le 13 avril 1857, disparaissait à Paris, au terme d’une longue carrière politique et judiciaire, François-André Isambert.
Un parcours professionnel impressionnant
Né en 1792 à Aunay-sous-Auneau (Eure-et-Loir) d’un père laboureur devenu meunier à Lèves, puis marchand tuilier à Gasville, François-André Isambert entame ses études secondaires au collège de Chartres en 1803, intègre en 1807 le lycée impérial avant d’entrer à la faculté de droit de Paris dont il sort licencié en 1812.
Commence alors un parcours professionnel impressionnant – avocat aux conseils du roi (1818-1830), conseiller à la Cour de cassation (1830-1857) – doublé d’un engagement politique qui en fait le précurseur et l’artisan de dispositions législatives fondamentales : élu député d’Eure-et-Loir dès 1830, cet anticlérical convaincu prône dès 1843 auprès de ses pairs du Palais Bourbon la séparation de l’Église et de l’État ; en 1848, il est avec, Louis de Cormenin, le rédacteur de la loi instituant le suffrage universel[1].
Premier coup d’éclat : l’affaire des déportés de la Martinique
Mais c’est surtout son combat pour de l’abolition de l’esclavage qui retient l’attention. Un sujet auquel il s’intéressa dès les années 1820 à l’occasion de l’affaire des déportés de la Martinique : il obtint en 1826 la cassation de l’arrêt condamnant trois mulâtres – Bissette, Volny et Fabien – , à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir fait circuler en Martinique un libelle appelant à la réforme du système colonial[2].Fondateur de La Société française pour l’abolition de l’esclavage
Alors que l’Angleterre venait de s’engager dans un processus devant aboutir à une abolition définitive en 1840, il fonde en 1834, avec d’autres abolitionnistes, La Société française pour l’abolition de l’esclavage. Son but est de bannir l’esclavage des colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Réunion et Guyane française). Secrétaire de cette société, Isambert mène un long combat pour obtenir cette abolition, usant de sa fonction de député pour intervenir régulièrement à la Chambre des députés.
Des félicitations de Lamartine….
Après l’un de ses discours, il reçoit en mars 1841 cette lettre d’Alphonse de Lamartine : « Bravo, bravo cent fois cher collègue. J’étais allé vous entendre et vous soutenir au besoin, mais aucune voix ne peut être entendue après la vôtre. Jamais la Sainte colère de l’indignation n’inspira plus mâles accents et plus fortes et poignantes paroles. Vous aurez avancé de dix ans l’émancipation par l’horreur inspirée par vos récits et vos expressions. »
… aux encouragements de Victor Hugo
Il tente également d’intéresser Victor Hugo à la cause de l’abolition et reçoit cet encouragement : « J’ai lu, Monsieur, avec un véritable intérêt les productions remarquables que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser. Croyez que je suis bien sensible à votre gracieux envoi, rien ne m’est plus précieux que la sympathie des hommes de droiture et de talent. C’est dire, Monsieur, quelle valeur particulière j’attache à la vôtre. Quand le moment sera venu, j’apporterai la plus sérieuse attention à la question qui vous touchent je serai heureux d’œuvrer d’accord avec vos intérêts. »
Isambert à Londres en 1840
La Société française pour l’abolition de l’esclavage utilisa de nombreux moyens pour atteindre son objectif : réunions, journal, pétitions, propositions de loi, actions auprès des conseils généraux, création de comités abolitionnistes et participations à des congrès internationaux.
C’est François-André Isambert qui représente la France au congrès de Londres de juin 1840. Il y prononce deux discours dans lesquels il déclare que « les partisans de l’esclavage, même aux colonies, savent que cette cause est perdue. Ils savent que l’émancipation est prochaine ; les uns s’y résignent ; les autres, pour sortir de cet état précaire et ne désespérant pas de l’avenir des colonies, l’appellent déjà de leurs vœux « . Il rappelle « que c’est une croisade dont le but est plus noble et plus religieux encore. C’est la conquête définitive des droits et de la liberté morale de l’homme par la triple influence de la religion, de la justice et de l’humanité.
Combat gagné : abolition de l’esclavage en 1848
Mais La Société française pour l’abolition de l’esclavage se heurte à de nombreuses oppositions, en particulier celles des colons qui n’hésitent pas à stipendier journaux et députés. Elle ne put obtenir qu’une amélioration du sort des esclaves (lois Mackau[3] de 1845).C’est finalement, la révolution de 1848 qui permet, à l’instigation de Victor Schoelcher, l’abolition de l’esclavage par le gouvernement provisoire de la République, dont cinq des onze membres étaient adhérents de la Société française pour l’abolition de l’esclavage.
1849 : retrait de la vie politique
François-André Isambert se retira de la vie politique en 1849. Le natif d’Auneau-sous-Auneau continua à siéger à la Cour de cassation dont il était le vice-doyen à sa mort. Lors de ses obsèques, son ami Odilon Barrot, ancien chef du gouvernement, lui rendit hommage dans un long discours se terminant par ces mots : Tu laisses à tes enfants un nom consacré et qui sera honoré partout où la liberté humaine sera respectée : noble héritage dont ils connaissaient bien le prix et dont ils continueront à se montrer dignes. Un tel homme, Messieurs, on peut le pleurer, mais il ne faut pas le plaindre : il faut l’imiter !
Jean-Charles Leloup est l’auteur de Pionnier de Nouvelle-Calédonie, 1862-1867relatant la vie de ses ancêtres partis vivre en Nouvelle-Calédonie et d’Histoires de la Beauce et de l’ Eure-et-Loir (1739-1905)
[1]Il fut aussi directeur du bulletin des lois (1830-1831), député de la Vendée (1832-1848) et représentant de l’Eure-et-Loir à l’Assemblée constituante de 1848. Il fut également l’un des acteurs de la révolution de 1848 en présidant le banquet réformiste tenu à Chartres le 24 octobre 1847 et en signant en février 1848 le manifeste des cinquante-deux députés accusant le ministère de François Guizot d’être au-dehors l’honneur et les intérêts de la France. Auteur de nombreux ouvrages de droit, tel Le Recueil général des anciennes lois françaises depuis 420 jusqu’à la Révolution en vingt-huit volumes qui fait toujours référence chez les historiens. Ajoutons qu’il fut l’un des fondateurs – et vice-président – de la Société de géographie.
[2] Le 12 janvier 1824, la Cour royale convaincue que Bissette, Fabien et Volny – avaient « rédigé et colporté des écrits et adresses séditieux dans la vue de réveiller des besoins de haine et d’insubordination contre la classe blanche de cette colonie » , avait condamné les trois hommes aux galères à perpétuité. Environ deux cents autres hommes de couleur martiniquais avaient été déportés en Amérique continentale, Europe et Afrique.
[3]Sont votés essentiellement des droits supplémentaires accordés à l’esclave : droit au mariage, droit à la propriété et à l’héritage, droit de racheter sa liberté . Obligation faite au maître de fournir une instruction religieuse et élémentaire, une « petite portion de l’habitation, pour être par eux cultivée à leur profit » et « les rations de vivres et les vêtements déterminés par les règlements ». La journée commencée au plus tôt à 6h doit se terminer au plus tard à 18h. Mais la résistance exercée par les conseils coloniaux fit que cette loi ne put être réellement mise en application.