« Ce que je n’ai pas oublié, c’est la croyance absolue que j’avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père Noël qui, à l’heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’y trouvais à mon réveil[1] ». Cet extrait des mémoires de George Sand, publiés en 1855, est la première mention écrite du père Noël en France.
Origines du père Noël et du sapin de Noël
Né à New York en 1820, mais conçu à partir de vieilles légendes de l’Europe du Nord – notamment celle de Saint Nicolas –, ses attributs légendaires sont fixés par le dessinateur américain Thomas Nast[2] en 1860 : costume et bonnet rouge bordé de blanc, hotte remplie de jouets, longue barbe blanche traversée d’un sourire[3]. Parfois appelé bonhomme Noël, son ascension est fulgurante. L’occurrence du mot est multipliée par 40 dans la presse française entre 1830 et 1900.
Quant à « l’arbre de Noël » – on disait encore peu « sapin de Noël » -, c’est après la guerre de 1870 que, par l’entremise des immigrés d’Alsace-Lorraine, il prend racine en France. Et à Chartres.
L’arbre de Noël pour les enfants nécessiteux de Chartres : le spectacle…
Depuis 1891, la Société des fêtes du commerce de la ville organise son « arbre de Noel » pour un millier d’enfants, parmi les plus nécessiteux. Car, écrit la Dépêche d’Eure-et-Loir, « il n’est point de sabots vides à Chartres, ni de Noël sans sapins, ni de sapins sans jouets ». La manifestation a pour écrin le théâtre.
Celle du 25 décembre 1910 commence en musique grâce à l’harmonie de Saint- Ferdinand. Des corbeilles garnies de brioches circulent et, de grandes boites de cartons jaillissent des bâtons de sucre d’orge multicolores. Soudain, Monsieur Noël, comme disent les enfants, apparait, juché sur son âne. Il conte des histoires, serre les menottes et, à son passage, comme par enchantement des bonbons tombent de sa hotte. Puis les regards des bambins se tournent vers la scène. Surgissent successivement Guignol, manipulé par un artiste chartrain, et deux vedettes parisiennes, Géo – de l’Athénée – qui fait plier de rire l’auditoire avec ses imitations et Joby – du Nouveau cirque – qui stupéfie en allumant des allumettes sur son crâne…
Puis les cadeaux…
Enfin, les enfants sont invités à défiler pour gagner des allées paradisiaques où reposent les cadeaux attendus[4] : cheval gris pommelé, jeu d’adresse et de patience, trompette sonore ou encore poupée et ménage. Garçons d’un côté, filles de l’autre. Car les messieurs qui procèdent à la distribution prennent garde de ne pas attribuer aux uns ce qui revient aux unes… Et inversement.
L’arbre de Noël à l’école
« L’arbre de Noël » étend ses branches jusqu’aux écoles rurales dès le début du XXe siècle. Les réjouissances s’articulent autour d’une même trame : fanfare, représentation théâtrale, chants et cadeaux. À Bailleau l’Evêque, en 1911, « un magnifique sapin, richement décoré ploie sous le poids des mille jouets qui excitent tout de suite la convoitise des tout petits…. dont les bras sont bientôt chargés de magnifiques joujoux choisis parmi les plus modernes[5] ». À Authon du Perche comme à Auneau, la cérémonie s’achève par la Marseillaise. En ces années, l’arbre de Noel est patriotique.
Les magasins chartrains dans tous leurs états
Dans les villes, les commerçants déploient des trésors d’imagination pour émerveiller passants et clients.
C’est un festival de couleur, de lumière et de sensations dont la Dépêche d’Eure-et-Loir dresse un portrait saisissant[6]. « À Chartres peut-être plus qu’ailleurs, les magasins sont des paradis en miniature ». Dans les vitrines des magasins de nouveauté, « les ampoules électriques jettent des éclaboussements de soleil » et sur « des torsades de gui aux baies blanches reposent des boas, des castors, des zibelines et des martres ».
Les étals des pâtisseries débordent « de glace au café et de Mont Blanc de 60 centimètres » tandis que le charcutier a savamment agencé « des chapelets de boudins, des jambons d’York roses comme des joues de misses anglaises et des têtes de porcs qui tournent vers les oies leur groin remplis de persil ». Pour démultiplier les ventes, les boutiques sont ouvertes aussi dimanche et jours de fête.
Sabots dans la cheminée
Le jour de Noël ou à celui des étrennes, les enfants découvrent leur cadeau au pied de la cheminée ou au pied du sapin, des plus beaux jouets aux simples friandises déposées dans les sabots…
Messe de minuit pour tous ?
Fête déchristianisée pour les uns, Noël reste une fête majeure pour les chrétiens. On s’y prépare pendant les quatre semaines de l’ Avent. Sur la photo ci-dessus, des jeunes femmes posent avec une tenture de Noël dans laquelle l’enfant Jésus, au centre, s’inscrit dans l’étoile qui annonce sa venue.
Le 24 au soir, les cierges qui répandent leur clarté à l’intérieur des églises invitent à la prière, la crèche attend les fidèles pour la messe de minuit. À 22 heures, quand les cloches sonnent, ils sont nombreux à hâter le pas car si l’assistance à la messe dominicale est réduite, Noël demeure une tradition à laquelle grands et petits se plient[7]. A l’instar de Jeannette et Guillaume, deux petits beaucerons qui revêtent leurs « habits du dimanche » pour accueillir le petit Jésus à l’église.
C’est avec ces humbles héros d’une chanson beauceronne, rapportée par Guy Bataille que se termine cette chronique eurélienne[8].
Boutons noute habit le plus biau
Que j’ons quand il est fête
Pour adorer l’enfant nouviau
Ça serait malhonnête
Si j’allions en saligau ( bis)
Visiter noute maîte (bis)
Bonnes fêtes…..
Notes
[1] Georges Sand, Histoire de ma vie, Tome IV, 1855.
[2] Né à Landau en Allemagne, à vingt kilomètres de la frontière française… Sur le sapin de Noël, cet article de Rétronews
[3] Pascal Ory, L’Histoire n°194, p.8.
[4] La Dépêche d’Eure et-loir, 28 décembre 1910.
[5] La Dépêche d’Eure et-loir, 28 décembre 1911.
[6] La Dépêche d’Eure et-loir, 25 décembre 1909.
[7] Une exception toutefois en 1906 puisque, pour marquer son opposition à la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, les évêques demandèrent à ce que les églises demeurèrent portes closes le 24 décembre.
[8] « Acoute que j’te cause ». Société Dunoise, p. 170. Livre indispensable sur le patois beauceron.