Savante et « néanmoins charmante », Le Matin, 13 octobre 1906.
L’auteur de l’article, Gustave Tèry qui partagea la vie d’une intellectuelle, la journaliste Annie de Pène, se présente comme « féministe ».
Pour autant, le chapeau et la teneur de son article révèlent les préjugés dont étaient accablées les femmes savantes à la Belle Epoque : elles devaient être fatalement laides et masculines.
« La Française de la fin de notre siècle, lit-on en 1889 dans la revue Les causeries familières a une tendance marquée à se masculiniser qui ne peut contribuer à l’embellir. Elle chasse, elle fume, elle affecte des allures indépendantes et provocantes ; pour comble, enfin, elle demande à revêtir le costume masculin »
Dans Le Matin, Gustave Tèry réserve ses coups de griffe aux « doctoresses » anglaises et teutonnes. Car l’honneur de la France est sauf grâce à Mlle Robert, première femme à intégrer l’Ecole Normale, auteure d’une étude sur « l’hémolyse des globules sanguins par l’acide acétique. « Néanmoins, elle est charmante », écrit ce « féministe » qui poursuit :
« Je puis bien le confesser : si féministe que je sois, je ne me faisais guère d’illusions sur les charmes de cette docte demoiselle. J’en ai vu, dans les universités d’outre-Rhin ou d’outre-Manche de ces doctoresses, pauvres filles sans âge et sans sexe, si dénuées de tout « appât » qu’elles semblent avoir été aplaties et séchées entre les pages de leurs bouquins ».
Puis, il raconte sa visite. Quand la porte du domicile de la normalienne s’ouvre, c’est la stupéfaction.
« -Mademoiselle Robert ? – C’est moi, Monsieur, dit la toute jeune fille. Je précise : – Je voudrais voir Mademoiselle Robert, licenciée ès sciences qui sera demain élève de l’Ecole normale supérieure… : je vous dis que c’est moi. Pas possible ! Mais elle est charmante, la normalienne, elle est jolie, elle est blonde… Je n’en reviens pas ».
Elle raconte au journaliste ébahi ses études chez les sœurs de la rue Rocafort, à l’école de la rue Vauquelin, puis sa licence à la Sorbonne qu’elle achève, major de promotion. La future normalienne accepte la photographie en une mais ajoute en fille bien élevée, « il faut que je demande à Papa… »
Notons que Simone, la fille de Gustave Téry fut reçue au même âge – 22 ans – à l’agrégation de philosophie en 1919. Engagée à gauche, elle devint journaliste à « L’Humanité ». On ne sait si le papa la jugea « néanmoins charmante »…
Sources : Le Matin, 13 octobre 1906.
En savoir plus : Eric Sartori Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au xxesiècle, Paris, Plon, 2006 et Guillaume Pinson, « La femme masculinisée dans la presse mondaine française de la Belle Époque », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, no 30, 2009, p. 131-146.