« Tous les genres d’horreur se rencontrent dans cette malheureuse affaire », écrit le procureur du roi. On ne saurait mieux dire. En 1835, l’affaire du couple Marie Germond et Basile Henry cumule parricide, fratricide, soupçons d’infanticide et affaires de mœurs. Et comme tous les dossiers de justice, elle informe sur le quotidien : santé, tradition, superstition et relations conjugales…
Au mariage, lui, 25 ans ; elle 15 ans.
Les deux époux sont issus de famille de modeste aisance. Le père de Basile Henry est boucher, sacriste et maître d’école à Saint-Victor-de-Buthon. À son jeune garçon, il apprend à lire, à écrire et lui fait endosser le surplis de l’enfant de chœur avant de le placer à 14 ans comme apprenti bourrelier. À l’issue de sa formation, il goûte à l’air urbain, émigre à Beauvais puis à Paris. De retour au pays, Henry fait la connaissance de Marie Germond en 1822 aux « danses qui suivent les tirs du pavois[1] ». Originaire de Champrond-en-Gâtine, la jeune fille, après deux années d’école, achève tout juste son apprentissage d’ouvrière en robe. Le mariage est célébré le 7 août 1822. Il a 25 ans ; elle, 15 ans, âge très inhabituel, mais ses parents cultivateurs ont donné leur bénédiction et mille francs de dot.
Débauche en tout genre
Les jeunes mariés s’installent à Montlandon. L’avenir apparait prometteur : une belle dot, des revenus de maître-bourrelier et de couturière si bien que, le vent en poupe, ils investissent dans un « café-billard ». Mais le ciel sans nuage est de courte durée. Rapidement, vie conjugale et affaires vont à vau-l’eau. Henry apprend – comment ? – que sa jeune épouse « s’était adonnée au libertinage dès l’âge de 14 ans ». Alors, quand il la soupçonne d’entretenir une liaison avec son voisin, il la corrige par des « gifles et de coups de pied au cul ».
Peu de temps après, c’est elle qui surprend son mari, cette fois sur le vif, – ce sont ses mots – « en action avec ma mère ». Si Henry rompt la relation avec sa belle-mère – confirmée par l’instruction – c’est pour courir le guilledou avec une autre femme. Mais les témoins sont unanimes : la femme Henry est la plus débauchée des deux. « Elle a souvent profité des absences de son mari pour recevoir intimement tous les hommes qui lui convenaient, le premier venu était bien accueilli, bien régalé[2] », affirme Philidor, maire de Montlandon, après enquête auprès de ses administrés.
Déchéance sociale
Dans ces conditions, les affaires périclitent. Le « café-billard » ferme ses portes. Entrainé par sa passion de la chasse, Henry consacre plus de temps à pister le gibier qu’à travailler le cuir. De maitre-bourrelier, il devint simple commis. Quant à sa femme, elle sort chaque jour et revient fort tard le soir pour un ouvrage qui rapporte peu. Quel ouvrage, d’ailleurs ? On jase.
Rumeurs d’infanticide
Mais, somme toute, ces faits d’ordre privé, s’ils scandalisent, n’intéressent pas la loi. Il en va tout autrement des graves négligences envers leurs enfants, passibles cette fois de sanctions pénales. Des quatre bébés nés entre 1825 et 1831, seule l’aînée, Marie-Antoinette a survécu, nourrie par la pitié des voisins car elle est livrée à elle-même du matin au soir. Les trois autres sont morts entre leur sixième et vingt-quatrième jour dans des conditions suspectes. Le pays bruisse de rumeurs d’infanticide, liées aux mauvais soins et à l’incroyable impassibilité de la mère lors des décès.
Un témoignage accablant
À ce propos, le témoignage de la femme Lefèvre qui l’a accouchée le 22 décembre 1831 de Joseph, son petit dernier, est plus que troublant.
« Après avoir veillé l’enfant jusqu’à 11 heures, je lui donnai de la bouillie et l’arrangeai bien chaudement, laissant un biberon à la tête du lit pour que la mère le fasse boire s’il criait. Je revins à 3 heures et demandai à la Basile : ̎votre enfant a-t-il crié ? ̎ Elle répondit : il a pigné un peu, je l’ai bercé et il n’a plus rien dit ». Se penchant sur le berceau, la sage-femme découvre « l’enfant froid comme la glace ». À ses mots – « Votre enfant est mort – la femme Henry lui répondit, placide : « Ah ! Mais il est comme les trois autres, il est mort du mal de Saint Julien ». La réponse exaspère son mari qui l’apostrophe : « Tais-toi, nom de Dieu de salope, c’est toi qui es en cause, tu ne veux pas qu’on fasse aucun voyage pour eux[3] ».
Là-dessus, comme si de rien n’était, elle continua à manger sa rôtie [tartine] que sa voisine lui avait apportée et donna l’ordre d’ensevelir le petit Joseph. « Infanticides ? « Malheureusement, on n’a pas de preuves positives de ces forfaits », regrette le maire de Montlandon dont le commentaire indique qu’il a dû procéder au moins à une enquête orale. Mais de procédure judiciaire, il n’y eut point.
Séparés, mais unis par une haine obsessionnelle
En 1833, le couple finit par se séparer. Henry prit pension à Saint-Victor-de-Buthon chez son frère qui l’avait embauché ; sa femme et sa fille Marie-Antoinette furent hébergées par les parents Germond, retirés à Saint-Eliph. Henry visitait sa femme le samedi et le dimanche. Désargenté et désuni, les deux étaient cependant cimentés par une idée fixe : la haine vouée aux parents Germond. Ses ressorts profonds, outre le sentiment de leur déchéance, puisaient dans une jalousie ressassée des années à l’égard du petit dernier des enfants Germond – René âgé de 19 ans.
À ce « mauvais sujet » qui ne finissait jamais ses apprentissages, ses parents cédaient tous les caprices et dépensaient sans compter. Ils prévoyaient de payer un remplaçant pour lui éviter la conscription et projetaient un beau mariage.
Surtout, ils s’étaient endettés en décembre 1834 pour lui acheter un fonds de commerce à Chartres d’une valeur de 28 000 francs – une fortune – alors qu’ils leur avaient refusé six ans auparavant un cautionnement pour le rachat d’un café.
Menaces contre les parents Germond
Des « scènes scandaleuses » éclataient entre la mère et la fille. À plusieurs reprises, des témoins assurèrent avoir entendu la femme Henry crier « qu’elle donnerait bien son père pour que sa mère crevât ». L’insulte choquait d’autant plus que ses parents lui offraient ainsi qu’à sa fille de 9 ans le gîte et le couvert. De son côté, Henry avait menacé son beau-père avec son fusil, le traitant de « vieux gueux qui ne valait rien ».
Quant à René Germond, il partageait la chambre de ses parents depuis la Saint-Jean 1834, en attendant tranquillement son installation à Chartres.
Et puis, survint la nuit du 10 janvier 1835. Acte II.
Notes
[1] Tir à l’arc.
[2] Rapport du maire de Montlandon au juge.
[3] Le terme de voyage ici désigne un pèlerinage fait auprès d’un saint guérisseur. Le mal de Saint Julien concerne abcès et ulcères.
Remarquable chronique. Cela paraît surprenant qu’il n’y ait pas eu la moindre instruction judiciaire à propos des décès successifs des enfants. Sans doute révélateur des moeurs de l’époque où les enfants dans les campagnes et dans nombre de familles ne semblaient pas représenter une priorité. La mort prématurée des enfants leur était presque « familière », en tout cas une fatalité, tant on considérait que c’était le destin…