1890, cyclone du drouais, acte II : dégâts et débats

18 aout 1890 :  le trajet fou du « cyclone »

Le « cyclone » du 19 août 1890, d’une violence inouïe, a semé la désolation sur Dreux. Il continue son œuvre sur près de dix kilomètres. Passant les Osmeaux, il fond sur Brissard, hameau d’Abondant. Sa largeur est certes passée de deux-cents à cent mètres, mais sur cette bande étroite, il dévaste tout sur son passage. « La route, raconte Le Petit Parisien du 31 août, était jonchée de feuilles et de troncs d’arbres arrachés comme on arrache une plante, verticalement. Certains troncs avaient été emportés à cent-cinquante mètres. »  Les meules de paille et de fourrages ont été pulvérisées. La furie ne s’arrête qu’à l’entrée du parc de château d’Abondant où elle fait une saignée de quatre-vingt mètres, laissant derrière elle un enchevêtrement inextricable de branches et, plus étonnement, un amoncellement de corbeaux morts.

Le trajet du « cyclone » reconstitué. site Keraunos

Comme « un pays en guerre »

Dépêché à Brissard le 20 aout, l’envoyé spécial du Petit Journal décrit un pays en guerre : « Qu’on se représente deux armées ennemies se mitraillant durant une journée et ce hameau pris entre deux feux. Sur cent maisons, vingt-cinq ne sont plus qu’un amas de décombres. Une poutre de quatre cents kilos a été enlevée et projetée à douze mètres sur la façade d’une maison. J’ai parcouru ce champ de bataille et j’ai vu ces maisons foudroyées, leurs habitants errant au milieu des décombres et se demandant encore s’ils ne rêvaient pas ». Celles des plus pauvres sont les plus endommagées. Ces sinistrés ont dû se réfugier dans un « petit campement provisoire », se désole le journaliste. [cf en note le nom des familles concernées]

Le Petit Journal, 21 aout 1890.

Les lumières de Camille Flammarion

Les scientifiques sont désemparés. Quel nom attribuer à ce phénomène ? Car le mot « cyclone » qui a fait florés dans la presse est rejeté par le monde savant. Interviewé le 26 août par La Presse, Camille Flammarion apporte ses lumières. Vulgarisateur de génie, astronome réputé, curieux de tout, il a publié en 1888 un volume de sept-cents pages intitulé L’atmosphère, météorologie populaire. Deux des six chapitres sont consacrés l’un au « Vent », l’autre à « L’électricité, les orages et la foudre ». L’homme est écouté.

Camille Flammarion. source : https://www.futura-sciences.com

Premier débat : cyclone, tornade ou trombe ? 

Le cyclone, dit-il en substance se développe sur des centaines de kilomètres et, utilisant un terme apparu en 1866, précise qu’il ne « va pas sans une dépression atmosphérique ». Serait-ce plutôt une tornade ou une trombe comme l’avancent certains journaux ? Pas plus, rétorque Flammarion. « La trombe, c’est une colonne d’air qui se détache d’un nuage. Pivotant avec rapidité sur elle-même, elle se meut lentement et se voit. A-t-on vu quelque chose ? Rien. » Ni cyclone, ni trombe : quoi, alors ?

Carte de la pression barométrique moyenne en France au niveau de la mer, extrait du livre de Flammarion,  « L’atmosphère, météorologie populaire ».  p75.

Les dernières décennies du XIXe siècle ont été marquées par des progrès considérables dans la compréhension de la météorologie, de la circulation des masses d’air que l’on commence d’ailleurs à cartographier. Depuis 1856, l’Observatoire de Paris a mis en place un réseau « météo-télégraphique », premier pas conduisant à la prédiction et à l’alerte, surtout sur les côtes.  Mais le météore drouais échappe à tout modèle connu et laisse Flammarion perplexe.

ou plutôt une « tempête électrique »…

Ce fameux 19 août, à Paris sur la terrasse de l’Observatoire, il se rappelle avoir assisté durant cinq heures à « un spectacle terrifiant comme on n’en voit jamais. Les éclairs silencieux ont sillonné le ciel dans la direction du sud-ouest [vers Dreux]. Pas une seconde ne s’est écoulée sans cet incendie électrique ». Après être venu sur les lieux et avoir recueilli des témoignages attestant la présence de « masses d’étincelles », Flammarion qualifie, faute de mieux, le météore de « tempête électrique ».

Une « tempête électrique ». DR.  Piotr Krzeslak in nature insolite.

Sa gestation s’expliquerait par une « saison anormale au cours de laquelle « l’électricité s’est accumulée ». A cette tempête électrique, il ne voit qu’un phénomène comparable, celui qui le 19 août 1845 avait dévasté les bourgs de Malaunay et du Houlme dans la région rouennaise. Dans son édition du 30 août, L’Illustration ironise cependant sur cette « électricité qui a le don de justifier tout ce qui dans la nature et surtout en météorologie, peut paraître inexplicable » et préfère s’en tenir au mot « tempête ». Le site Keraunos qualifie le météore drouais de « tornade meurtrière de forte intensité EF3 ».

Second débat  : qui va payer ? La solidarité, certes…mais encore ?

Pour les sinistrés qui ont tout perdu, l’urgence est ailleurs… Qui va payer les dégâts ? Rappelons, à toute fins utiles, que l’état de catastrophe naturelle qui assure l’indemnisation systématique « des dommages matériels non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel » ne date que de 1982…

Dreux, la maison Dageon, soufflée par le « cyclone ». L’Illustration, 30 août 1890. Coll personnelle. DR.

Sitôt la catastrophe connue, la solidarité s’organise : le ministre de l’Intérieur fait remettre au sous-préfet de Dreux une somme de dix mille francs auxquels s’ajoutent cinq mille francs du Comte de Paris, mille francs de la Présidence de la République, mille autres francs du Conseil général d’Eure-et-Loir. L’évêque de Chartres, venu sur place – à la différence du ministre – a remis en main propre plus de mille francs. De son côté, la presse locale lance une souscription au profit des victimes. Le 28 aout, Le Journal de Chartres annonce déjà 1 610 francs collectés. Au total, près de vingt mille francs, soit environ dix années de salaire moyen. Une belle somme, mais une misère par rapport aux dommages estimés à plusieurs millions.

Vue générale du faubourg Saint-Thibault. À l’arrière-plan, la chapelle royale. Epargnée. L’Illustration, 30 août 1890. Coll personnelle. DR.

Le « niet » des compagnies d’assurance… 

Les victimes se tournent vers leurs compagnies d’assurance. Mais ces dernières excluent le versement du moindre franc. Deux arguments, rapportés par La Patrie le 23 septembre, motivent leur refus : d’une part, « l’assurance contre la foudre ne comprend en aucun cas les dégâts causés par les ouragans, les trombes » ; d’autre part, « aucun assureur contre l’incendie n’a pu envisager sa responsabilité sur un fléau dévastateur d’une contrée ». Représentés par un syndicat chargé de leurs intérêts, les assurés entendent porter le contentieux devant les tribunaux. « On appellera l’expertise de l’Académie des Sciences et, pronostique Le moniteur Universel du 11 septembre, il sera bien difficile à l’électricité de se dérober ». L’issue de cette bataille judiciaire n’est pas connue de l’auteur de l’article. Si toutefois, des lecteurs avaient des informations…

Notes

Noms des familles sinistrées, données par Le Petit Journal, le 21 août 1890 : « Lamarre, Bétille, Prévost, Asse, Monastié, Léon Veillet, Brochart, Barbot, Delaunay, Perrier, ce dernier sans ressources et sans abri; Thuault, également sans ressources et dont les vêtements même ont été enlevés d’une malle sans qu’il ait été possible de les retrouver ; Hébert, Magloire, Allais, père, de sept enfants ; Mohier, père de huit enfants. » 

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