La domestique Sauce inculpée de crime d’empoisonnement sur enfant

Acte I. 12 février 1875, maison des Courtin, cultivateurs à la Bazoche-Gouët :  une tentative d’empoisonnement est perpétrée contre la petite Marie-Louise, âgée d’à peine trois semaines. Deux jours plus tard, la domestique Sauce est inculpée. Tout l’accuse.

Faisceau accablant

Elisabeth Sauce était dans la maison lorsque le sieur Dubois, hongreur, avait conseillé à la femme Courtin de placer la fiole d’acide en haut du dressoir, hors d’atteinte des enfants, parce qu’elle contenait du poison.

Archives départementales d’Eure-et-Loir, La fiole est indiquée d’une croix. 2 U 2 517.

Quelques jours avant le crime, elle avait demandé à sa maîtresse, l’air de rien, si la mixture était mortelle.  Sur son tablier, les gendarmes identifièrent une tache pareille à celle relevée sur le mouchoir de cou de l’enfant. Alors, elle admit avoir ouvert la fiole, mais c’était, expliqua-t-elle, « pour soigner ses verrues ». Lors de la manipulation, une goutte avait dû s’écraser sur le tablier. Seulement, les experts notèrent que ses verrues – encore apparentes – ne paraissaient pas avoir été traitées avec cet acide qui avait la vertu de les faire disparaitre complétement.

Sa version des faits défie toute logique. Seule à avoir pénétré dans la chambre où l’enfant était couchée pendant la courte absence de sa mère, elle prétendait n’avoir rien entendu au moment du drame. Or selon les médecins experts, l’administration du poison  avait entrainé instantanément des « cris violents ». En outre, d’après la reconstitution faite par les pandores, les hurlements de l’enfant et de la mère avaient été forcément perçus par la jeune fille qui s’activait au lavoir, distant seulement de quinze mètres. 

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En bas, le lavoir, à quelques mètres de la maison. Archives départementales d’Eure-et-Loir, plan des lieux. 2 U 2 517.

Quel mobile ?

Attenter à la vie d’un enfant sans défense, mais pour quel mobile ? Les époux Courtin se méfiaient.  Début janvier, des pièces s’étaient volatilisées et plus grave, le jour du baptême de la petite Marie-Louise, les gants de la marraine avaient disparu avant de refaire surface dans le fournil où, coïncidence, la domestique rangeait ses effets. D’une indiscrétion de l’ainé des enfants Courtin, elle avait appris son probable renvoi. Selon l’acte d’accusation, elle aurait été inspirée par un sentiment de vengeance. Contre toute logique, la fille Sauce n’avoua rien et s’enferra dans un système de défense têtu, voué à l’échec.

Archives départementales d’Eure-et-Loir, extrait de l’acte d’accusation. 2 U 2 517.

Un geste vraiment criminel ?

Son geste interroge sur sa connaissance réelle du poison, mais aussi sur la réalité de ses intentions criminelles. Il est fort probable qu’ignorant les effets de l’acide, elle n’ait pas anticipé les cris de l’enfant, comptant sur une mort lente et discrète, de celle qui frappait à cette époque nombre d’enfants en bas âge. D’ailleurs, voulait-elle vraiment assassiner la petite Marie-Louise ou « simplement » lui faire du mal pour se venger des parents ?  La première hypothèse envoyait en assises – et donc possiblement à la guillotine -, la seconde en correctionnelle[1].

Archives départementales d’Eure-et-Loir, conclusion de l’acte d’accusation. 2 U 2 517.

Avis des experts et sentence de la cour d’assises

Le médecin expert estima que la dose administrée était suffisante pour donner la mort, mais rien n’indiquait que la fille Sauce ait eu conscience de la quantité à faire ingurgiter pour tuer. Or, l’intention était alors punie comme un crime d’empoisonnement consommé, même si la victime n’avait pas succombé.  A contrario, en 1884 à Paris, une jeune mère fut traduite en correctionnelle – et non en assisses – parce que l’ingestion de phosphore infligée à son bébé d’un mois, si « elle était nuisible à sa santé, n’était pas de nature à donner la mort ». Elle écopa de huit mois de prison et de seize francs d’amende[2]. La fille Sauce fut condamnée, elle, à huit ans d’incarcération pour assassinat.

Crime d’empoisonnement, d’abord les femmes ?

Ces deux affaires éclairent sur la nature des produits toxiques utilisés. Poisons détournés de leur usage médical comme dans l’affaire de la fille Sauce[3], ou poisons du quotidien, tel le phosphore du fait de la vulgarisation des allumettes chimiques ou encore l’acide oxalique employé pour la blanchisserie.

 Hélène Jégado. Née en 1803, elle fut accusée d’avoir empoisonné une trentaine de personnes, dont des enfants. la justice retint cinq assassinats. Elle fut exécutée en 1852. Image d’Epinal, vers 1852. DR.

Dans la majorité des cas – celui qui nous intéresse en est l’illustration – le crime d’empoisonnement, « vengeance du pauvre et du faible », survient dans les milieux les plus modestes. C’est pourquoi, peut-être, porté par des affaires célèbres, il apparaît pendant tout le siècle comme un fléau qui mine la société d’autant qu’il est d’abord associé aux femmes. « La plupart des empoisonnements sont œuvre féminine. La femme ne peut guère avoir recours à la force brutale : elle procède donc par ruse », expose Henri de Vérigny le 10  juillet 1906 dans sa « causerie scientifique » publiée par Le Temps [4].

La petite Marie-Louise a-t-elle survécu ?

« L’enfant a survécu et il est à espérer qu’il se rétablira », écrit le Rappel le 29 mars 1875, à l’issue du procès. Le journaliste fut entendu. Marie-Louise Courtin, la petite fille empoisonnée, se rétablit. Au bout de huit jours, elle tétait  » assez facilement », éprouvant juste des difficultés à déglutir à cause d’une brûlure au niveau du pharynx.  » Il est donc permis de supposer, nota le médecin expert, que dans l’avenir, sa vie et sa santé ne subiront aucune atteinte fâcheuse de l’acte criminel dont elle a été victime ». Atteinte physique s’entend : les traumatismes psychologiques affectant les nouveau-nés ne furent pensés, par Freud notamment, qu’à partir des années 1920. 

Marie Louise épousa, le 2 mai 1892 à 17 ans, Louis Melet, aide de culture à la Bazoche-Gouet et mit au monde onze enfants entre 1893 et 1911. Ses horizons se bornèrent au Perche. À son mariage, elle s’installa à la Chapelle-Royale avant de migrer de neuf petits kilomètres au Gault-Perche, dans le Loir-et-Cher.

Et la fille Sauce ?

La fille Sauce aussi se « rétablit ». Mais très loin, à vingt mille kilomètres du Perche, en Nouvelle-Calédonie, dans la commune de Bourail. Voici pourquoi et comment. Acte III.

Notes

[1] À ce sujet, Justice et science au 19e siècle ou la difficile répression du crime d’empoisonnement. Recherches d’études contemporaines. Recherches d’études contemporaines, n° 4, 1997, p.105.

[2] Justice et science au 19e siècle ou la difficile répression du crime d’empoisonnement. Recherches d’études contemporaines, n° 4, 1997, p.109.

[3] En 1877, à Paris, la femme Béchon, accusée d’avoir empoisonné son enfant avec du laudanum avait pu se procurer ce poison parce que sa maîtresse l’utilisait pour des cataplasme sur prescription de son médecin. DD2U8 68, dossier de procédure de la cour d’assises de la Seine.

[4] En 1840, l’affaire Marie Lafarge, près de Limoges, enflamme aussi le pays. L’épouse est soupçonnée d’avoir versé de l’arsenic dans le gâteau de son mari âgé. Flaubert s’en est inspiré pour son personnage d’Emma Bovary. Balzac place des empoisonneuses dans nombre de ses fictions. Les études récentes prouvent que les femmes n’empoisonnent pas plus que les hommes… À ce sujet, l’article suivant :  https://ajco49.fr/2022/06/20/le-crime-dempoisonnement-a-londres-au-tournant-du-xxe-siecle-une-trahison-au-sein-du-cercle-familial-et-aux-yeux-de-la-societe/

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