Rabelais, Gargantua et la Beauce..

La Percheronne Filleul-Pétigny a relaté les aventures de Gargantua en Beauce et Perche qu’elle avait entendues, enfant.  Par son appétit insatiable et ses excès, le géant aurait affamé les populations. Nulle trace de ces épisodes dans le livre de Rabelais. Gargantua serait à l’origine du mot « Beauce ». Mais ceci est autre histoire que n’a point narré l’écrivaine nogentaise. Qu’en est-il ? Écoutons Rabelais, cette fois dans le texte…. Alors que le géant chevauche vers Paris afin d’y parfaire son éducation, il rencontre au-delà d’Orléans une vaste forêt. 

Gargantua chevauchant sa jument arrive à Paris. Illustration de Gustave Doré, 1854.

« Celle-ci était horriblement riche et féconde en mouches à bœufs et en frelons, si bien que c’était un vrai coupe-gorge pour les pauvres bêtes de somme, ânes et chevaux. Mais la jument de Gargantua eut la revanche de tous les outrages qui y avaient été commis sur les bêtes de son espèce […]. Car dès qu’ils eurent pénétré dans la forêt en question et que les frelons lui eurent livré l’assaut, elle dégaina sa queue et dans l’escarmouche les émoucha si bien qu’elle en abattit toute la futaie […] elle abattait les troncs comme un faucheur abat les herbes, de telle sorte que depuis il n’y eut plus ni bois ni frelons, et que tout le pays fut transformé en champs. Ce que voyant, Gargantua y prit un bien grand plaisir et, sans davantage s’en vanter, dit à ses gens : je trouve beau ce. C’est pourquoi, depuis lors, on appelle ce pays la Beauce. »

Gargantua et la Beauce

La Beauce en 1659 : des champs et très peu de forêts. La faute à la queue de la jument de Gargantua… source : Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla from Sevilla, España — « Belsia, vulgo La Beausse »

« Beau ce »… Selon l’essayiste Alain Roger, Rabelais aurait exprimé par la voix de Gargantua l’une des premières émotions littéraires sur l’esthétique d’un paysage, notion dont l’apparition, au xvie siècle, est contemporaine de l’écrivain[1]. À moins que ce jeu de mot ne soit qu’une énième facétie de Gargantua et donc de l’auteur à l’endroit du plat pays : à cette époque – déjà – les locutions populaires moquaient la monotonie du paysage beauceron… Au milieu du XIXe siècle – encore – la Beauce est une terre de désolation pour l’Ardéchois Henri Gard :  « Pas un arbre…pas une seule ondulation. Site de désespoir à mettre dans un roman[2] ».

Plusieurs dolmens appelés « palet » à l’exemple de ceux d’Alluyes, de Nottonville, de Montluet, de Romilly-sur-Aigre ou de Saint-Denis-les-Ponts portent le nom de Gargantua, preuve que le géant, dont la force était nécessaire à leur érection, était un élément de la culture populaire[3]. À Toury, se trouve la Pierre de Gargantua, table de dolmen de 3,5 mètres de long sur 3,3 mètres de large dont la Revue des traditions populaires en 1892 révèle la curieuse origine.  « Gargantua passant par-là sentit quelque chose qui le gênait en marchant, il s’arrête, se déchausse et, c’était cette pierre qu’il avait dans son soulier… ».

La pierre de Gargantua, Toury. Coll. particulière.

Selon une tradition, Guillaume de Bellay, seigneur de Langey, commune de Beauce aujourd’hui située dans le canton de Cloyes, y aurait fait construire une maison pour Rabelais, celui qui était la fois son ami et son médecin attitré[4].  L’écrivain aurait eu alors le loisir de s’émerveiller devant les vastes étendus dues aux foucades de la jument de Gargantua…

« La maison de Rabelais » ou supposée telle… à Langey.

Notes

[1] Alain Roger, Court traité du paysage, Gallimard, 1997, p. 19-20.

[2] Henri Gard, « voyage en Beauce », SAEL, t. XIV, p 470. Plus généralement, Saint-Evremond en 1685 considérait l’immensité incompatible avec la beauté. En ces pénibles séjours, écrivait-il, « la vue se dissipe et se perd ».

[3] À ce sujet, Revue des traditions populaires, 15 février 1892, p. 83.

[4] A ce sujet, l’article d’Hubert Limet in La gazette Beauce, Perche, Thymerais, n° 58, automne 2023, p. 21.