Cahiers d’écoliers au temps de Jules Ferry

 

Deux cahiers de devoirs mensuels de l’école de La Gaudaine, petite commune du Perche, sont conservés aux archives d’Eure-et-Loir[1]. Datés de 1895 et 1896, ils permettent, quinze ans après l’adoption des lois Ferry, de suivre l’enseignement prodigué par Edmond Fleury à une dizaine d’élèves du cours supérieur. Parmi eux, Margueritte, sa fille. Quand, le 3 juin 1908, elle appose sur le registre de mariage sa signature aux lettres bien formées – comme le lui avait appris son père – se souvient-elle que le 18 novembre 1895, elle avait hérité d’un commentaire cuisant pour « écriture maigre » ?

Edmond Fleury, instituteur de la Gaudaine,  Archives départementales d’Eure-et-Loir ,90 J art 2. 

Le programme de l’ école Républicaine : d’abord le français.

Hussard noir du Perche, Edmond Fleury se conforme au programme :  exercice d’écriture – justement –  mais aussi dictée, grammaire, exercice de style. Le français a une place de choix dans les horaires et les devoirs[2]. En des années où le patois est encore la langue maternelle, la maitrise du français devient indispensable compte-tenu de la circulation croissante de l’imprimé et des individus. Les mathématiques qui arrivent en seconde position précèdent l’histoire, l’instruction civique, la morale et à un degré moindre la géographie[3].

cahier d'écolier au temps de Jules Ferry

Les instructions officielles en page 2 du cahier. Archives départementales d’Eure-et-Loir, 90 J art 2 ( comme tous les documents présentés dans cette chronique).

Si ces devoirs renseignent sur les compétences attendues, ils nous informent aussi sur les sujets donnés – souvent en prise avec la vie quotidienne -, sur les idées inculquées par l’école républicaine et enfin, sur la notation et les commentaires lapidaires du maitre. Le lecteur pourra se risquer aux comparaisons de niveau et d’évaluation d’aujourd’hui…

Exercices d’écriture : la Russie à l’honneur

La majorité des exercices de français et de mathématiques prennent appui sur « la petite patrie » : nature environnante, temps des saisons, métiers du village, bref le quotidien. Il y a cependant des exceptions. En témoignent les exercices d’écriture. Fréquents, même en dernière année de cours supérieur, ils sont l’occasion d’orthographier les noms d’hommes illustres ou – lien avec l’actualité – , de célébrer l’amitié franco-russe. Les contemporains jugeront peut-être bien sévère le maître qui estime « maigre » l’écriture de sa fille Margueritte sur « l’Empereur de Russie… pacificateur de l’Europe »… 

« Ecriture maigre » : trop de déliés et pas assez de pleins, sans doute…..Archives départementales 90 J art 2.  Tous les documents proviennent de ce fonds.

Décidemment, l’époque était aux mamours entre la France et le tsar puisque le lundi 8 juin 1896, les élèves s’appliquent sur cette phrase : « La France et la Russie sont deux nations amies ».

Ecrire et conjuguer : « assez bien » pour Irma.

Écriture encore, mais pour apprendre les conjugaisons. Quand Irma Cottereau, 12 ans, décline quatre temps de l’indicatif, elle compose sur de petites phrases en phase avec la vie quotidienne : « Je nivelle un chemin » et « vous amenez un cheval… ». Vingt-quatre accords et   – las ! – six fautes pour la fillette qui écope d’un 5 sur 10. Elle sait que bien écrire, bien conjuguer, c’est se donner les chances de réussir la dictée. 

Terribles dictées : « assez bien pour Léontine.

Exercice disciplinaire, chronophage et décisif pour l’obtention du certificat d’études, elle impose d’emblée à nos élèves percherons une écriture corsetée par des règles.  En voici deux copies. La première, écrite par Léontine Guyot le 17 décembre 1895, porte sur un sujet de saison : la neige.

« Tantôt sur la grande place : quelle plaisir pour les écoliers. On dressera quelque grands bonhommes de neige, on se divisera en deux camps et les boules de neige pleuvront. On rantrera joyeux, les mains rouge, la figure animées avec la bonne fatigue de l’exercice en pleine air. »

Verdict de l’instituteur : « Assez bien » seulement car six fois, la plume rouge s’abat sur le cahier. Ces fautes, le lecteur les a-t-il pointées ? La seconde, datée du 11 mai 1896, a beau évoquer les arbres fruitiers du pays, elle n’a pas inspiré Lucien Hermeline et ses 12 printemps. Sa dictée compte autant de fautes que la pomme de pépins.

La dictée n’a pas été corrigée. Qui comptera les pépins ?

L’analyse grammaticale : « assez bien » encore pour Léontine

Troisième type d’exercice, l’analyse grammaticale a pour objet de définir la nature et la fonction des mots. Léontine Guyot s’y emploie le mercredi 22 janvier 1896, décortiquant les neuf termes de la phrase suivante, reflet de migrations saisonnières.  « Les petits savoyards ramonent les cheminées de nos maisons ». L’écolière se trompe deux fois en faisant de « nos » un adjectif possessif masculin et de « maisons » un nom commun masculin. 7/10 et AB tranche le maître[4].

cahier d'écolier.

Extrait de l’analyse grammaticale de Léontine Guyot.

La composition française : le petit Hermeline à la peine… » faible »

Abordée à partir du cours moyen, la composition française suppose la maitrise minimale de l’écriture, de la conjugaison, de l’orthographe acquise les années précédentes… Elle a pour objectif de conduire les « enfants à exprimer leurs pensées et leurs sentiments par écrit en un langage correct[5] », énonce le recteur de Paris en 1882.

Le thème du 22 janvier 1896 porte sur le pain : « Du pain est là sur la table. Vous passez en revue tous les ouvriers qui ont su s’employer pour le faire. Vous en conclurez qu’il ne faut pas le gaspiller ». Lucien Hermeline convie certes tous les métiers, mais les fautes innombrables – « la miche a crote doré » au lieu de « croute dorée » -, la syntaxe défaillante et une grosse erreur – « le domestique a semé du grain dans les forêts… » – ont raison de la patience d’Edmond Fleury qui couvre la page de rouge.. En marge, il écrit  : « Faible, 3/10 ».

Extrait de la composition française de Lucien Hermeline.

Acrobaties de chiffres… Le petit Prunier et Margueritte Fleury en réussite : « bien ».

À l’instar du français, les exercices de mathématiques s’inspirent des réalités locales. Ainsi le mercredi 20 novembre 1895, Edouard Prunier, 13 ans, fait-il de savants calculs – sans calculette –  sur ce sujet :

« Une mère de famille fait confectionner une douzaine et demie de chemises avec de la toile qui coûte 1f. 6 le mètre. Il faut 2 m 70 pour chaque chemise et l’on donne 10 francs par semaine à la couturière qui fait une chemise par jour. Combien coûtent toutes les chemises ? »

Exercice intéressant pour le lecteur du XXIe siècle car il rappelle que nombre de vêtements étaient à cette époque confectionnés par des couturières et non achetés en ville dans un « magasin de nouveautés ». Après une série d’opérations sans une rature, Edouard conclut par la bonne réponse : 107, 76 francs.

D’autres élèves exercent leurs raisonnements sur le prix du cidre par barrique de 430 litres ou par « feuillette » (tonneau dont la capacité oscille entre 114 et 140 litres) ou encore sur la vente de bouteilles, le prix des travaux dans une ferme et plus important encore la valeur de la terre… Margueritte Fleury fait merveille.

21 janvier 1896. Les calculs de Margueritte Fleury. Cette fois, l’instituteur (et le père) est satisfait. Tout est juste. 10/10.

Et la semaine prochaine : Histoire, géographie, instruction morale et valeurs républicaines…

Notes

[1] Archives départementales d’Eure-et-Loir, 90 J art 2. En principe, chaque élève devait avoir son propre cahier de devoir mensuel. De fait, les deux cahiers conservés ont servi de support à plusieurs élèves. Edmond Fleury a été aussi instituteur à Moulhard, puis à Châtelliers-Notre-Dame, toujours dans le Perche. Fervent partisan du député Deschanel avec qui il entretient une correspondance, il s’inquiète pour lui lors de son duel avec Clemenceau.

[2] Près de 3 heures par jour, plus du tiers de l’horaire.

[3] Aucune mention dans ces cahiers du dessin, de la couture et de l’éducation physique.

[4] Samedi 15 février 1896 l’analyse grammaticale porte sur la phrase : « les gentilles hirondelles annoncent le retour du printemps ».

[5] Cité par Maurice Crubelier, L’école Républicaine, 1870-1940. Éditions Christian p. 63