Scène de western pour la 2 chevaux

Projet mystère du TPV… de la 2 chevaux

Au Salon de l’Automobile d’octobre 1948, Citroën décidait in extremis de présenter les trois premiers exemplaires du TPV, « Tout Petit Véhicule », rebaptisé pour l’occasion « Toujours Pas Vu » par ses détracteurs[1]. On ironisait sur ce projet révolutionnaire qui datait de l’avant-guerre et que la firme entourait d’un grand mystère. Il fallait se contenter des maigres informations distillées par un prospectus : « moteur de 375 cm3, 2 cylindres, 4 temps à refroidissement par air et boîte de vitesses à 3 vitesses normales, plus une surmultipliée et une marche arrière » et confort assuré : « Chauffage pour l’hiver, aération  pour l’été »….

Le prospectus de Citroën en 1948 pour présenter la 2 chevaux.

La 2 chevaux dévoilée au Salon de 1948

Le 6 septembre 1948, la veille de l’ouverture du Salon, trois 2 chevaux faisaient leur entrée au Grand Palais en toute discrétion, dissimulées sous une bâche. Le lendemain, le public découvrait leur ligne, leur toit ouvrant, leurs suspensions, mais pas le moteur car les prototypes n’avaient encore rien sous le capot… Cette drôle de voiture en forme de boite de conserve suscita d’abord des ricanements[2] : « Obtient-on un ouvre-boîte avec elle ? », ironisa un journaliste yankee. Mais quelques jours après, la petite Citroën était l’attraction du Salon. On se massait autour de cette voiture détonante, populaire et économique[3].

Les Lettres Françaises, 14 octobre 1948. Le Salon de L’Automobile.

Moteur encore top secret au centre d’essai de la Ferté-Vidame

Quant au moteur – promis, juré – la firme aux chevrons en livrerait les secrets au prochain Salon de l’Automobile, celui de 1949. Des secrets bien gardés dans un cadre champêtre, à deux pas du château du duc de Saint-Simon à La Ferté-Vidame, commune d’Eure-et-Loir où, depuis 1938, Citroën abritait derrière douze kilomètres d’enceinte son centre d’essai. Ingénieurs et rouleurs s’affairaient aux derniers réglages.  Personne ne pouvait pénétrer dans le sanctuaire sans montrer patte blanche. Et précise Le Soir, le numéro de téléphone, qui ne figurait pas à l’annuaire, ne devait en aucun cas être communiqué par le service des renseignements.

Prototype Citroën, top secret… En essai sur la route.

Les rouleurs procédaient à des essais sur les trente-deux kilomètres du circuit fermé, mais aussi en condition réelle sur une boucle de soixante kilomètres passant par Longny-au-Perche, Sainte-Anne-du-Perche, et Verneuil-sur-Avre. C’est en rejoignant cette localité que, le 5 septembre 1949, un jeune pilote d’essai de 21 ans, le nommé Grammont, subit une attaque en règle. Il était tôt, la route était déserte. Ou presque. Car soudain, une puissante Traction Avant le doubla, freina et stoppa en travers de la route. Deux hommes en descendirent.

Le Soir, 7 septembre 1949.

5 septembre 1949 : la 2 chevaux attaquée

Conformément aux instructions qui interdisaient toute approche des prototypes, Grammont risqua une manœuvre sur le bas-côté, mais précipita la TPV dans le fossé. Les deux individus le sommèrent d’ouvrir le capot et comme le rouleur résistait, il fut roué de coups à l’estomac, au bas-ventre et à la tête. Selon Le Soir, quand il reprit connaissance, les bandits, penchés, auscultaient le moteur. Puis, très vite, ils s’engouffrèrent dans la Traction Avant avec en tête – et qui sait imprimées sur des pellicules – les caractéristiques techniques du fameux moteur. Grammont, salement contusionné, parvint malgré tout à regagner La Ferté-Vidame.  L’alerte fut donnée. C’était un mois avant l’ouverture du Salon.

En une de l’Eclaireur de l’ouest, 7 septembre 1949.

Espionnage industriel ou mise en scène ?

La presse et les gendarmes se perdirent en conjectures. Le 7 septembre, Le Soir émettait une hypothèse : « Las d’attaquer les fourgons postaux, le gang des tractions[4] travaillait-il maintenant pour le compte d’une vaste organisation d’espionnage industriel », au service de la concurrence ou de la presse spécialisée ? Le groupe Citroën se récria, assurant que depuis l’homologation du véhicule par les mines le 24 juin, le secret n’en était plus un puisque des modèles avaient même été confiés à des concessionnaires[5]

L’Humanité, 7 septembre 1949. Publicité à l’ américaine… Le titre du quotidien communiste, indissociable du contexte du Guerre froide…

Avait-on voulu alors s’assurer que la marque aux chevrons n’avait pas procédé à d’ultimes modifications aux fins de créer la surprise au Salon ?  A moins que, persifla L’Humanité, jamais tendre avec l’Oncle Sam, ce ne soit « une forme un peu brutale, mais efficace de publicité à l’américaine » ? Bref un coup monté. Cette attaque que d’aucuns qualifiaient de « fait divers le plus incroyable de l’année » ne fut, à notre connaissance, jamais élucidée.

La 2 chevaux de 1949 : incroyable succès d’une voiture…rudimentaire

La 2 chevaux de 1949 fut vendue 230 000 francs. C’était alors un modèle unique, rudimentaire : une seule couleur disponible (le gris), pas de serrure de portes (mais un dispositif d’antivol copié sur celui des bicyclettes…), le niveau de carburant ne pouvait être vérifié qu’avec une jauge à immersion et il n’y avait qu’un feu d’arrêt. Des modèles aujourd’hui « collector ». 

Son succès fut phénoménal. La production bondit de neuf-cents véhicules en 1949 à quinze mille en 1951[6]. Avec un peu plus de 5,1 millions d’exemplaires, le « TPV » Citroën fait partie des dix voitures françaises les plus vendues de l’histoire.

Notes

[1] En réalité, c’est même avant-guerre, dès 1936, que naît le projet TPV (Toute Petite Voiture) chez Citroën. Objectif : faire de l’automobile un produit courant, utile au travail du monde agricole et accessible aux classes populaires, à une époque où elle est encore considérée comme un objet de luxe.

[2] Notamment du stand Renault qui exposait la nouvelle version de la 4 chevaux présentée la première fois au Salon de l’Automobile de 1946.

[3] En ces temps de restriction d’essence, Citroën mettait en avant sa faible consommation, moins de cinq litres au cent kilomètre.

[4] Le gang des Traction Avant est une bande de malfaiteurs des années d’après-guerre spécialisée dans les attaques à main armée. Dirigée par Pierre Loutrel, dit Pierrot le Fou, elle commit ses méfaits de 1946 à 1947. Le dernier membre est arrêté en mai 1949.

[5] https://2cv-legende.com/2cv-series-speciales/2cv-a. Site indispensable sur la 2 chevaux.

[6] Au tout début, la production était loin de suivre la demande. Plusieurs années étaient nécessaires pour avoir un véhicule neuf.

4 thoughts on “Scène de western pour la 2 chevaux”

  1. bonjour M Denizet,
    très intéressante et surprenante cette histoire de 2cv !
    bravo pour vos écrits que je suis avec passion.

    1. Bonjour Monsieur, merci pour votre retour qui m’encourage à persévérer dans la publication de ces chroniques euréliennes. Je vais tenter d’en savoir plus sur cette histoire de 2 chevaux, surtout sur l’enquête ! Bien à vous. Alain Denizet

  2. Article vraiment très drôle ! Et qui me ramène à mes jeunes années, à cet oncle, fan de sa deudeuche, et dont on raillait un peu dans ma famille la fierté qu’il en avait.. Et pourtant, il en a fait, avec elle, des excursions, partant avec sa femme et jusqu’à trois enfants camper ici ou là. Merci, et cordialement.
    Catherine Bancelin

    1. Bonjour Madame, Merci – encore une fois – pour vos retours. J’aimerais en savoir plus sur l’enquête… Qui formait ce mystérieux trio sur la route de Verneuil ce jour-là ? … Bien à vous, Alain Denizet

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