Tour de France 1903 : six étapes, 2428 kilomètres.
L’idée du Tour de France avait été émise le 2 décembre 1902 par Géo Lefèvre, ancien élève du lycée Marceau à Chartres. Sept mois plus tard, le 1er juillet, 59 coureurs s’élancent de Montgeron pour un tour de France long de 2 428 kilomètres, divisé en six étapes qui relient Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes et Paris. Soit en moyenne, plus de 400 kilomètres, le tout sans assistance technique et sur des vélos sans dérailleur. La route se fait le plus souvent de nuit pour éviter les grandes chaleurs.
Tour de France ; en route pour la légende
Le 1er juillet en une de L’Auto, Géo Lefèvre anticipe la légende du Tour, les corps souffrants, les hommes courbés sur la bécane, les intempéries, les chutes. « Ces hommes sont plus que des hommes[1] », martèle-t-il. Le 19 juillet, à la veille de l’arrivée à Paris, dans la même veine, il promet à ces « vétérans des batailles de la route… le repos après ces heures interminables ou il fallait lutter et souffrir ». En mars 1903, son ancien professeur d’anglais au lycée Marceau, Gaston Sevrette, – déterminant dans sa vocation sportive -, publiait dans les colonnes de L’Auto un article où il célébrait aussi la pratique sportive, gage de vertu et de dépassement de soi[2].
Dernière étape du Tour de France en Eure-Loir et Chartres
Nantes-Paris : avec ses 471 kilomètres, la dernière étape est aussi la plus longue. Partis de Nantes à 20 heures, les forçats de la route traversent l’Eure-et-Loir par Guillonville, Sancheville, Villars, Montainville, Dammarie, Morancez, Chartres, Coltainville, Gallardon et Ecrosnes. Entre Patay et Dammarie, le Cercle athlétique vovéen assure la surveillance[3] de la course avant l’arrivée prévue deux cents mètres avant les Trois-Ponts, à l’entrée de Chartres. L’organisation a voulu éviter « une lutte dans la ville ». A 11h 05, dix échappés montrent le bout de leur guidon. Et c’est Garin, le leader, qui met les autres d’accord en remportant le sprint et les vingt-cinq francs offerts par l’Union chartraine du commerce[4]. C’est de « loin le plus frais[5] ».
Tour de France 1903 , l’attente place des Epars à Chartres
Le contrôle officiel de la course a été installé Place des Epars au Grand café de France, pavoisé aux couleurs nationales. S’y pressent journalistes, représentants du Vélo Sport Chartrain ainsi que Gaston Sevrette, président d’honneur du comité régional du Centre-ouest. Les passionnés sont arrivés dès 9 heures 30 – sait-on jamais ? – . A 10 h30 une foule compacte, maintenue avec peine par la maréchaussée a envahi la place, attendant avec impatience « ces vaillants qui se sont offerts pedalibus cum jambis, – s’amuse Le Journal de Chartres – cette gentille partie d’excursion à travers la France ». L’atmosphère est électrique. « Des photographes mettent leurs appareils en batterie prêts à piger en vol la physionomie du favori. On s’arrache les journaux de sport dont les camelots crient à tue-tête le titre des unes.
Chartres : les voilà !
A dix heures et demie, un motocycliste portant brassard arrive et donne des nouvelles des coureurs qui approchent. A 10 heures 45 un cri court : les voilà ! les têtes se penchent… Non, c’est un petit garçon boucher qui panier au guidon va chercher une commande… A 11 heures 06, un cri court encore, les voilà ! Cette fois, l’alerte n’est pas veine… Au milieu d’un nuage de poussière, on voit arriver les dix coureurs du premier peloton. Ils sont dans un état plutôt pitoyable, couverts de boue, de poussière, de sueur, déchirés, crottés, vannés, à peine des hommes[6]. » Les héros du jour se précipitent au contrôle, émargent, engouffrent des sandwichs et prennent un chocolat au café de France : c’est Garin qui régale avec ses vingt-cinq francs gagnés au sprint des Trois-Ponts[7].
Tour de France : après Chartres, direction Paris
Le passage du Tour de France « a remporté un succès complet ». Le public était au rendez-vous « et partout les concurrents ont reçu le meilleur accueil », se félicite La Dépêche d’Eure-et-Loir[8]. Toutefois, Le Journal de Chartres note que « le passage des coureurs du tour de France a soulevé moins d’émotion que le passage des concurrents de la course à la mort[9] ». Allusion à la course automobile Paris-Madrid du mois de mai précédent. Elle s’était soldée par huit morts parmi lesquels le pilote irlandais Porter victime d’un accident à Bonneval.
Déjà un succès médiatique
Mais Géo Lefèvre, l’ancien chartrain, est aux anges. Le Tour a gagné le pari de la médiatisation. A Chartres, « L’Auto est dans toutes les mains » et « Le Journal de Chartres, le Progrès d’Eure-et-Loir, la Dépêche d’Eure et loir consacrent de bonnes lignes à la course[10]. » Garin, qui avait quitté Chartres en tête, gagne la dernière étape et remporte le premier Tour de France avec une avance de 2 heures et 59 minutes sur le second, Lucien Pothier. lI a pédalé un total de 94 heures 33 minutes à la vitesse moyenne de 26 km/h. La moyenne des étapes fut de 18 heures….
Notes
[1] L’auto 1er juillet
[2] « Ne pensez-vous pas que la propagation par les classes laborieuses de nos sports athlétiques pourrait aider à la lutte contre alcoolisme et la tuberculose ? » qui était ainsi élevée au rang de remède à la question sociale et sanitaire. L’Auto 14 mars.
[3] La Dépêche d’Eure-et-Loir, 19 juillet, 1903. Qui parmi les chartrains se souvenaient de la première course de vélocipède en 1869 ?
[4] La Dépêche d’Eure-et-Loir 19 juillet 1903.
[5] Le Vélo, 20 juillet 1903.
[6] Journal de Chartres, 21 juillet 1903
[7] Actuellement à la sortie de Chartres par Le Coudray
[8] La dépêche 21 juillet
[9] Journal de Chartres, 21 juillet 1903
[10] L’Auto, 19 juillet 1903. Surtout, le concurrent direct de l’Auto, Le Vélo, a couvert l’évènement ainsi d’ailleurs que la presse nationale.